Cette recension est issue de Politique étrangère (4/2013). Benjamin Haddad propose une analyse de l’ouvrage de Vali Nasr – The Dispensable Nation: American Foreign Policy in Retreat (New York, Doubleday, 2013, 320 pages).

9780345802576Avec The Dispensable Nation, Vali Nasr propose une lecture critique de la politique étrangère d’Obama. Nasr y décrit une Amérique au leadership affaibli sur le plan international, nation « dispensable », en retrait face à la Chine et la Russie.

Expert du Moyen-Orient, Nasr est recruté en 2009 par Richard Holbrooke dans l’équipe AfPak. Cette expérience, interrompue par la mort soudaine d’Holbrooke en 2010, constitue une sévère désillusion pour l’auteur, qui décrit une administration obsédée par l’héritage des années Bush. La politique étrangère y est l’apanage des conseillers politiques prudents du président, au détriment des diplomates. Holbrooke ne parviendra jamais à surmonter la méfiance de l’entourage présidentiel : sa mission est constamment sabotée par les conseillers de la Maison-Blanche, qui signifient aux Afghans qu’il n’est pas un interlocuteur essentiel. Ses efforts en faveur d’une offensive diplomatique auprès des Talibans pour appuyer le surge de 2009 en Afghanistan seront vains. L’administration Obama tentera une ouverture diplomatique trop tard, alors que les échéances du retrait de 2014 ont déjà été annoncées et que les effets du surge se tarissent.Cette politique est la conséquence d’une volonté de désengager les États-Unis d’un Moyen-Orient dont l’importance stratégique devient secondaire, face à la nécessité de contenir les ambitions de la Chine. Cela explique le silence lors des manifestations en Iran en 2009, les hésitations face aux printemps arabes ou encore la timidité des ouvertures diplomatiques envers l’Iran, que l’auteur appelle de ses vœux. À l’audace diplomatique, Obama privilégie l’utilisation d’outils militaires et coercitifs discrets et peu coûteux politiquement (drones, Stuxnet, sanctions).

Mais ce « pivot » masque un paradoxe : le terrain de rivalité privilégié avec la Chine pourrait être le Moyen-Orient, l’« Asie de l’Ouest » pour les stratèges de l’empire du Milieu. Dépendant de la région pour ses approvisionnements énergétiques, Pékin pourrait être tenté, à moyen terme, de jouer un rôle politique accru afin de supplanter le vide laissé par Washington et garantir la sécurité de sa nouvelle route de la soie. De fait, les échanges commerciaux entre la Chine et les pays arabes, l’Iran et la Turquie se sont considérablement développés durant la dernière décennie. La Chine est même devenue le premier bénéficiaire de la reconstruction du secteur pétrolier irakien. Ces évolutions ne favorisent pas la coopération sino-américaine dans la région, les dirigeants chinois n’hésitant pas à renforcer des relais locaux ambigus ou hostiles comme le Pakistan et l’Iran et à défendre des positions opposées à Washington sur le nucléaire iranien ou la Syrie. Alors que le Moyen-Orient restera la zone déterminant le niveau des prix des hydrocarbures pour la Chine comme pour les alliés américains que sont le Japon, la Corée du Sud, l’Inde et l’Europe, une domination chinoise sur ces approvisionnements serait vécue comme une menace par ses voisins.

Malgré les critiques souvent adressées à la politique américaine au Moyen-Orient, un retrait politique des États-Unis, précipité de surcroît, ne serait pas un facteur stabilisateur pour la région. Mémoire diplomatique et essai stratégique, The Dispensable Nation est un livre pessimiste que les contradictions récentes de l’administration américaine sur la question syrienne ne rendent que plus pertinent.

Benjamin Haddad

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