Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (4/2013). Yves Gounin propose une analyse de l’ouvrage de Samuel Laurent, Sahelistan (Paris, Seuil, 2013, 382 pages).

9782021113358Ni diplomate ni universitaire, Samuel Laurent est un baroudeur qui, sur sa page Web, affirme sans vergogne « avoir fait le choix de l’aventure et de la découverte au mépris du danger et de tous les conformismes »… Mandaté par un mystérieux investisseur asiatique, il débarque en Libye début 2012 pour évaluer les risques et les opportunités ouvertes par le renversement de Kadhafi.

Spontanément hostile aux discours officiels et aux silences de la presse, il y fait le constat amer de « l’échec retentissant » de la révolution libyenne et décrit « une nation en lambeaux ». Il n’a pas de mot assez dur pour condamner les choix stratégiques de Nicolas Sarkozy bien mal conseillé par Bernard-Henri Lévy. La France aurait, selon Samuel Laurent, été peu regardante sur le choix des hommes qui ont constitué le Conseil national de transition (CNT). Son président Moustapha Abdel Jalil ? Un « apparatchik absolu » qui présidait la cour d’appel de Tripoli lorsque les infirmières bulgares y furent jugées. Le Premier ministre Mahmoud Jibril ? Un ancien conseiller du fils Kadhafi, obsédé par l’argent. Ivre du succès de la révolution, le CNT ressasse les souvenirs de sa lutte victorieuse. La France se trompe en faisant confiance à un gouvernement qui ne jouit plus d’aucun soutien populaire et ne contrôle pas le pays.

Car la Libye est en voie d’islamisation. Quelques milices fanatisées telles qu’Ansar al-Charia – accusée de l’attentat contre le consulat américain de Benghazi le 11 septembre 2012 – occultent la montée d’un sentiment antioccidental plus diffus, que ne suffit plus à contenir le souvenir du soutien de la coalition occidentale à la révolution. À l’instar de l’Afghanistan talibanisé, la Libye se transforme en « Sahelistan », où l’État central n’est plus qu’une fiction pour diplomates et où le territoire est réparti entre brigades islamistes. Samuel Laurent préfère s’y préparer, plutôt que de s’en offusquer. Il souligne combien l’islam structure l’identité du peuple libyen, plus encore qu’en Égypte ou en Tunisie. Il en conclut que l’instauration d’un gouvernement islamiste constituerait probablement la meilleure garantie de stabilité pour la Libye.

Pour étayer sa thèse, il enquête en Cyrénaïque où des milices autolégitimées par leur participation – plus ou moins avérée – à la révolution font régner l’ordre. Leurs exactions suscitent une exaspération croissante de la population, mais le manque de crédibilité du gouvernement central leur laisse champ ouvert. Samuel Laurent est aussi allé dans le Fezzan, aux frontières du Niger et de l’Algérie, là où les Touaregs contrôlent les trafics d’armes, de drogues, de cigarettes, de faux médicaments, etc. Le Sud est devenu « une vraie passoire », où règne désormais une économie de racket. Derrière les revendications nationalistes du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) ou les prêches salafistes d’Ansar Dine, les Touaregs n’auraient qu’une seule obsession : l’argent !

Samuel Laurent n’est pas sorti de Libye – contrairement à ce que laissent entendre les mentions de couverture. Mais il tire les conséquences de l’intervention française au Mali début 2013 : les djihadistes présents au Nord-Mali ont été repoussés en Libye, où ils trouvent un espace de non-droit propice à leurs agissements. L’intervention décidée par Nicolas Sarkozy en Libye a ouvert la boîte de Pandore ; celle décidée par François Hollande au Mali ne l’a pas refermée.

Yves Gounin

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