Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (4/2013). Yves Gounin propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Michel Galy, La guerre au Mali. Comprendre la crise au Sahel et au Sahara :
enjeux et zones d’ombre
(Paris, La Découverte, 2013, 198 pages).

widgetIl faut reconnaître à Michel Galy le mérite d’avoir réuni les meilleurs spécialistes du Mali pour commenter à vif l’opération Serval lancée par la France le 11 janvier 2013 et la replacer dans le temps long historique.

Comme l’expose très clairement la préface de Bertrand Badie, la crise au Mali est un cas d’école de conflit multidimensionnel. Au premier chef : le niveau national, avec la crise d’un État failli, rongé par la corruption, souterrainement travaillé par l’islamisme, où l’armée qui a pris le pouvoir le 22 mars 2012 s’est posée en ultime recours (Jean-Luis Sagot Duvauroux, Eros Sana), la marginalisation des populations touarègues, tenues à l’écart de la construction nationale malienne (Hélène Claudot-Hawad). Les enjeux régionaux, ensuite (Grégory Giraud) : les frontières des États issus de la décolonisation, tracées en contradiction avec la culture nomade des Touaregs, les « printemps arabes » qui ont largement débordé de leurs frontières, le retour de Touaregs surarmés de la Libye où ils servaient de garde rapprochée à Kadhafi, la criminalisation des groupes indépendantistes et fondamentalistes, l’ombre portée de l’Algérie (François Gèze), etc. Une dimension mondiale, enfin : les relations entre la France et l’Afrique, l’intervention militaire internationale, sa légitimité politique, sa faisabilité militaire, ses objectifs politiques, etc.

On pourra toutefois reprocher aux contributeurs quelque parti pris. L’intervention française au Mali est, à leurs yeux, lestée de deux péchés irrémissibles. Trahissant la promesse de rompre avec la Françafrique, François Hollande y conduirait « un processus de recolonisation qui n’ose pas dire son nom », fondé sur « une sorte de “doctrine Monroe” à la française ». Pire, il marcherait pour ce faire sur les traces de George W. Bush et de sa politique néoconservatrice. La charge est rude, qui n’hésite pas à comparer les reniements du pouvoir socialiste sur l’Afrique, de Mitterrand à Hollande, à un « molletisme de triste mémoire ».

La charge est excessive. N’en déplaise aux adeptes de la théorie du complot et aux contempteurs d’une désinformation dont les médias se feraient les complices, la France ne poursuit pas au Mali une politique néocolonialiste. Avant comme après l’élection de François Hollande – et sur ce point les auteurs ont raison de souligner la continuité de la politique française –, la France s’est inquiétée du délitement de l’État malien et de l’influence grandissante de mouvements terroristes aux objectifs flous. Son intervention militaire n’en fait pas le supplétif des États-Unis dont les intérêts, et surtout la connaissance de la zone, sont nettement moindres que ceux de la France. Son intervention ne fait pas non plus de cette dernière une puissance néocolonialiste. Elle n’y est pas guidée par un quelconque projet de « mise sous tutelle du Mali ». La France joue au Mali un rôle essentiel, qui justifie que ce soit vers elle et non vers les États-Unis – ou vers la Chine, étonnamment discrète sur ce théâtre – que Bamako se tourne, mais le Mali ne compte pour rien dans la politique internationale de la France ou dans son économie (il n’est que son 84e client et son 160e fournisseur…).

Sans doute la sortie de crise sera-t-elle longue et périlleuse. Mais le pire n’est jamais certain. Et la bonne tenue de l’élection présidentielle de juillet 2008 laisse augurer une issue positive.

Yves Gounin

S’abonner à Politique étrangère.

Acheter le numéro 4/2013 de Politique étrangère