cover_front_455pxCette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (2/2014). Guilhem Penent propose une analyse de l’ouvrage de Anatoly Zak, Russia in Space. The Past Explained, The Future Explored  (Apogee Prime, 2013, 316 pages).

Anatoly Zak est l’auteur du site RussianSpaceWeb.com, sans doute la meilleure source d’information en langue anglaise sur l’effort spatial russe depuis ses origines jusqu’à aujourd’hui.

Même si Zak n’hésite pas ici à opérer certains retours historiques particulièrement bienvenus – notamment lorsqu’il s’intéresse à l’exploration au-delà de l’orbite basse –, l’ouvrage met avant tout l’accent sur le programme spatial postsoviétique. Le propos est clairement marqué par la rupture profonde qu’a constituée l’éclatement de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) et la manière dont la Russie, reprenant de facto l’essentiel de son héritage, a tenté d’exploiter ce potentiel pour assurer sa survie, tout en n’incluant que tardivement – après l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine – l’espace à ses projets politiques. Aussi le spatial russe est-il présenté de manière assez classique à travers l’image du phœnix renaissant de ses cendres (chapitre III) après être passé par un cycle de mort (chapitre I) et de renaissance (chapitre II).

 Ce renouveau n’est observé que de manière partielle et somme toute ambivalente, sous l’angle exclusif des programmes de vols habités, comprenant principalement la participation russe à la Station spatiale internationale (ISS), les développements, avortés et en cours, du lanceur Soyouz en service depuis 50 ans, ainsi que du véhicule spatial habité du même nom, sans oublier les différents projets et roadmaps centrés sur d’éventuelles missions lunaires (chapitre V) ou martiennes (chapitre VI). Ainsi, rien n’est dit des programmes d’applications civiles ou militaires qui constituent aujourd’hui la majorité des activités spatiales dans le monde. Et de fait, le livre dresse le portrait paradoxal d’un programme national dont le dynamisme soi-disant retrouvé se mesurerait au nombre, non des réalisations concrètes, mais des concepts de vaisseaux et de lanceurs spatiaux entrant en concurrence les uns avec les autres pour trouver et préserver, au fil des années et des changements d’orientation politique, un financement et un appui de la part de l’État.

 Il est vrai que ce genre d’informations est précieux, tant elles sont rares et difficiles d’accès dans un pays qui cultive volontiers le secret sous le prétexte de la défense de l’intérêt national, au détriment de la transparence des politiques publiques. Il faut en effet beaucoup de talent et de pugnacité pour recouper les sources, alors que même un expert reconnu comme Zak doit faire face aux rebuffades de représentants officiels de l’agence spatiale russe qui, loin de s’en tenir au simple refus de coopérer, vont jusqu’à l’accuser de travailler pour la Central Intelligence Agency (CIA)… Reste qu’il est dommage que cette étude passionnante ne laisse pas davantage de place aux motivations supposées justifier de tels efforts et à la manière dont elles s’intègrent dans un paysage international caractérisé – au moins pour les nations spatiales les plus avancées à l’image des États-Unis et de l’Europe – par un sentiment de crise de l’espace habité. Une lacune d’autant plus criante qu’un début d’esquisse est perceptible (chapitre IV) et que l’auteur rappelle en maints endroits comme la Russie est influencée par les doutes et les revirements de la National Aeronautics and Space Administration (NASA) américaine.

Guilhem Penent

 

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