ThomsonCette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (2/2014). Marc Hecker propose une analyse de l’ouvrage de David Thomson, Les Français jihadistes (Les Arènes, 2014, 256 pages).

David Thomson, journaliste à Radio France Internationale (RFI), est un spécialiste de la mouvance djihadiste. En 2012-2013, il a réalisé le documentaire « Tunisie : la tentation du djihad », se concentrant sur le groupe Ansar al-Charia, dirigé par un ancien lieutenant de Ben Laden, Abu Iyadh, libéré des geôles tunisiennes lors du renversement de Ben Ali. Ce groupe s’est notamment distingué en septembre 2012 par une spectaculaire attaque de l’ambassade américaine à Tunis, au cours de laquelle des centaines d’individus ont pris d’assaut la chancellerie, brûlant des dizaines de véhicules, volant des ordinateurs et remplaçant la bannière étoilée par l’étendard noir du djihad. Parmi les assaillants se trouvaient des Français, dont certains combattent aujourd’hui en Syrie.

La Syrie – Sham, pour les djihadistes – est au cœur de l’ouvrage de Thomson. D’après les chiffres communiqués par les autorités françaises, environ 700 Français sont partis dans ce pays. Beaucoup d’entre eux ont rejoint les rangs des organisations sunnites les plus radicales comme Jabhat al-Nosra ou l’État islamique d’Irak et du Levant (EIIL). Si le phénomène des filières djihadistes n’est pas nouveau – on avait auparavant connu l’Afghanistan, la Bosnie, la Tchétchénie, l’Irak et le Mali –, la Syrie a suscité plus de vocations djihadistes parmi la jeunesse occidentale qu’aucun autre conflit.

L’auteur de ce livre a été en contact avec une cinquantaine de djihadistes dont 18 lui ont présenté longuement leur parcours et leurs motivations. La diversité des profils est frappante : certains viennent de familles musulmanes, d’autres se sont convertis quelques mois seulement avant de partir en Syrie ; certains avaient un environnement familial instable et n’ont plus de contact avec leurs parents, d’autres ont grandi au sein de familles stables et continuent à appeler régulièrement leur mère ; certains sont célibataires, d’autres mariés et ont des enfants ; certains ont abandonné un emploi bien rémunéré en France, d’autres étaient au chômage et ont sombré dans la délinquance. Ils ont cependant tous un point commun : ils sont de grands utilisateurs d’Internet et le Web a servi de vecteur à leur radicalisation. Les forums spécialisés comme Ansar al-Haqq ou certaines pages Facebook – à l’instar de « Wake Up Oumma » – constituent en effet de véritables encyclopédies du djihad, accessibles aux personnes ne maîtrisant pas l’arabe.

 Les motivations et intentions des djihadistes sont variées. L’objectif de la restauration du califat et de l’application de la charia revient régulièrement dans la bouche des interviewés. Leur attitude vis-à-vis de la France est toutefois loin d’être unanime. S’ils considèrent tous ce pays comme une terre de mécréance (kufr), ils ne s’accordent pas sur la nécessité de l’attaquer. Certains expliquent qu’ils ne comptent pas revenir dans leur pays d’origine et qu’y commettre des attentats contre des civils serait contraire aux commandements divins. D’autres ne cachent pas leur admiration pour Mohamed Merah et annoncent leur intention de l’imiter. Au début de l’année 2014, 70 djihadistes étaient rentrés de Syrie en France et plusieurs procès sont actuellement en cours. Ce chiffre est amené à croître dans les prochains mois. Espérons que parmi ces jeunes aguerris, les thuriféraires de Merah ne parviennent pas à passer à travers les mailles du filet de la police et de la justice.