Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère (n°3/2016). Frédéric Pesme propose une analyse de l’ouvrage de Alexander Sergunin et de Valéry Konyshev, Russia in the Arctic: Hard or Soft Power? (Stuttgart, Ibidem Press, 2015, 160 pages).

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La posture et la stratégie de la Russie dans l’Arctique restent des sujets d’interrogation, voire d’inquiétude, dans la mesure où celle-ci ne cesse d’envoyer des signaux contrastés : drapeau en titane planté en 2007 sous le pôle, au fond de l’océan Arctique ; reprise des patrouilles navales ou de bombardiers stratégiques ; décision de réhabiliter certaines bases de l’époque soviétique et de développer des unités spécialisées dans le combat en zone arctique. Tout ceci dans un contexte marqué, depuis le déclenchement de la crise ukrainienne, par l’augmentation des tensions avec l’OTAN.

Alexander Sergunin et Valery Konyshev ne méconnaissent pas cette difficulté et offrent un tour d’horizon très complet et détaillé des problématiques arctiques de la Russie et de la manière dont elle les aborde. Ils cherchent à démontrer que sa politique arctique évolue vers une approche plus responsable et soft, ce qui n’exclut pas qu’elle demeure sur certains dossiers, plus agressive et hard.

La Russie a en effet les mêmes impératifs et les mêmes difficultés que les autres pays riverains de l’Arctique. Elle doit mettre en valeur un territoire immense, encore difficilement accessible et hostile, en tenant compte des enjeux environnementaux. Elle revendique une extension de sa ZEE et doit encore trouver des accords pour la délimitation de ses frontières maritimes. Elle doit gérer l’irruption d’un nombre croissant d’acteurs dans cette région, notamment via le tourisme ou le transport maritime, ainsi que les problèmes qui en découlent, comme la recherche et le sauvetage en mer. Elle souhaite pouvoir exploiter la route du nord-est que, à l’instar du Canada s’agissant de celle du nord-ouest, elle considère comme une eau intérieure dont l’accès doit être contrôlé, ce qui constitue une source de friction.

Elle doit aussi défendre ses intérêts, asseoir sa souveraineté et se protéger contre les menaces qu’elle anticipe à la faveur de l’ouverture plus grande de cet espace. Pour cela – comme les autres états arctiques – elle renforce son outil militaire. Toutefois, même si le Grand Nord demeure d’une importance stratégique pour la Russie puisque c’est là qu’est basée la composante maritime de sa dissuasion, elle n’anticipe plus de conflit majeur dans cette région. N’ayant pas d’alliés dans l’Arctique, toute la question est de savoir comment elle interprète ce qu’elle considère comme une militarisation de la région par les États-Unis et l’OTAN, qui auraient tendance à apprécier le renforcement russe dans l’Arctique à l’aune des tensions nées depuis 2014 et à en exagérer la portée.

Nos deux auteurs veulent combattre les stéréotypes, bien conscients que le jeu russe depuis 2014 est perçu négativement. Ils démontrent que, pour répondre à ces défis, la Russie privilégie la coopération internationale, qui devient essentielle, et le règlement pacifique des différends, dans le cadre des instances juridiques internationales. Mais cela n’exclut pas qu’elle défende ses intérêts et réagisse à ce qu’elle perçoit comme une menace.

Finalement, la Russie résume à elle seule le paradoxe de l’Arctique. Alors qu’il faudrait donner la priorité au développement et à la coopération, les États investissent d’abord dans les moyens militaires pour des raisons de sécurité et de souveraineté. Si tous mettent en avant la résolution pacifique des conflits, il n’en demeure pas moins que la manière dont tous ces acteurs se perçoivent et coopèrent entre eux est la clé du développement pacifique de cette région.

Frédéric Pesme

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