Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2017). Daniel Shek propose une analyse de l’ouvrage de Samy Cohen, Israël et ses colombes. Enquête sur le camp de la paix (Gallimard, 2016, 320 pages).

Israël et ses colombes

Le judaïsme est une culture qui favorise le débat et n’aime guère le consensus. On ne s’étonnera donc pas qu’existe en Israël une société civile dynamique, dont une partie est engagée dans le « camp de la paix ». Ce camp est constitué d’une centaine d’organisations que Samy Cohen, directeur de recherche émérite à Sciences Po, énumère et catégorise savamment. Curieusement, avec Israël et ses colombes, Cohen accomplit un travail qu’aucun chercheur n’avait véritablement entrepris, y compris en Israël : un tour d’horizon complet, intelligent et fort lisible de ce camp de la paix, depuis la naissance de La Paix maintenant. Les bons et les mauvais moments sont évoqués, des grands espoirs suscités par le processus d’Oslo jusqu’à la situation actuelle, où aucune négociation ne point à l’horizon.

Samy Cohen analyse le déclin des organisations non gouvernementales (ONG) militant pour la paix, lesquelles ne parviennent plus aujourd’hui à mobiliser les masses et à organiser de grandes manifestations. Si le chercheur a raison de se focaliser sur le milieu associatif, on peut néanmoins se demander si le camp de la paix n’est composé que des activistes de cette nébuleuse, ou s’il faut y compter également les partis dont le programme aspire à la solution à deux États pour deux peuples, et surtout leurs électeurs. On doit aussi se demander si les réseaux sociaux n’ont pas, d’une certaine manière, remplacé les rassemblements traditionnels organisés place Rabin à Tel Aviv.

Les ONG agissant pour la paix et la coopération israélo-palestinienne, dont le travail courageux maintient une fragile flamme d’espoir et de bonne volonté, restent certes une composante importante de ce camp, mais ce n’est pas par elles que viendra le changement. Seul un nouveau leadership politique, du côté israélien comme du côté palestinien, permettra de mettre fin à l’interminable conflit par des moyens pacifiques. La gauche israélienne vit des jours difficiles. Plus que la radicalisation de la droite, c’est l’émergence du centre qui l’a affaibli. Tant que ce centre était celui d’Ehud Olmert et de Tzipi Livni, dévoués à la poursuite active de la solution à deux États, les conséquences étaient limitées. Mais actuellement, avec le parti Yesh Atid, dont le leader Yaïr Lapid, toujours fidèle à l’air du temps, a rejoint le chœur de ceux qui s’acharnent à délégitimer la gauche, le camp de la paix est plus que jamais sur la défensive. Alors que le débat public est de plus en plus intolérant et virulent, nombre d’ONG sont accusées de manquer de patriotisme par une opinion souvent déchaînée, par des politiques au discours populiste, et parfois même par la justice.

Pourtant, Cohen estime – sans doute à raison – que le déclin des colombes en Israël est loin d’être irréversible. « Ces guerriers de la paix ne militent pas “contre Israël”, mais pour un “meilleur Israël” », dit-il en conclusion de son livre. Une majorité d’Israéliens soutient en effet l’idée d’une solution négociée basée sur le concept de deux États pour deux peuples. Leur repli résulte d’une désillusion face aux échecs répétés des tentatives de négociations, et face aux résultats désastreux du retrait de la bande de Gaza en 2005. Un renouvellement du leadership de la gauche et le ralliement du centre peuvent changer radicalement le paysage politique et réveiller le camp de la paix de sa torpeur.

Daniel Shek

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