Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2018). Michel Duclos propose une analyse de l’ouvrage de Manon Nour-Tannous, Chirac, Assad et les autres (PUF, 2017, 464 pages).

Ce livre important de Manon-Nour Tannous, tiré de sa thèse de doctorat, mérite de retenir l’attention à un double titre. En premier lieu, il offre une histoire de la relation franco-syrienne de 1946 à 2011 sous un jour politique et diplomatique et non, comme c’est souvent le cas, sous l’angle des affaires de renseignement pimentées d’un peu de pétrole. Les différents épisodes – la difficile sortie de l’ère coloniale et post-coloniale après la guerre d’Algérie, la phase d’ajustement distant sous Mitterrand, les tentatives de rapprochement non conclusives sous Jacques Chirac puis lors du mandat de Nicolas Sarkozy – sont nettement décrits et dûment replacés dans leur contexte historique.

En bonne universitaire, l’auteur ajoute au récit une lecture conceptuelle, fondée sur une réflexion sur ce que représente le bilatéralisme dans les relations internationales. Selon Manon-Nour Tannous, la relation bilatérale franco-syrienne relève de ce qu’elle appelle la « diplomatie de levier », en ce sens que la relation entre Damas et Paris importait moins pour l’une et l’autre capitales pour son mérite intrinsèque qu’en fonction des retombées qu’en attendaient les deux protagonistes sur des dossiers extérieurs. Chacun recherchait dans son rapport à l’autre un appui, ou un avantage, vis-à-vis d’un tiers (ou de plusieurs tiers).

Concrètement, il s’agissait pour la France de desserrer l’étau syrien sur le Liban et de disposer d’un point d’entrée sur le dossier israélo-palestinien ; tandis que la Syrie recherchait à Paris une légitimation de son rôle dans la région, une diversification de ses parrains extérieurs, et un pare-feu contre Washington.

La deuxième raison de lire cet ouvrage avec attention réside bien sûr dans les leçons que l’on peut en tirer pour l’action. Sous Jacques Chirac à deux reprises, puis une troisième fois sous Nicolas Sarkozy, les dirigeants français ont cherché à établir un dialogue productif avec Damas. Dans les trois cas, cela est passé par une séquence similaire : premières approches, renforcement de la relation bilatérale proprement dite, attentes concernant des dossiers régionaux, déception du côté français (et d’une certaine façon du côté syrien). On doit s’interroger sur la cause de ces échecs répétés : limites intrinsèques de la « diplomatie de levier », nature de l’équation géopolitique régionale, caractéristiques du régime des Assad ? Notre auteur a l’élégance de laisser la question ouverte. Celle-ci apparaît en tout cas plus pertinente que jamais, au moment où une fois de plus les autorités françaises, dans des circonstances certes particulièrement dramatiques, se demandent s’il faut ou non renouer avec Damas.

Si l’on s’attache aux circonstances, justement, le précédent le plus pertinent n’est peut-être pas à rechercher dans les politiques des présidents Chirac ou Sarkozy, mais dans le réalisme froid qui a conduit François Mitterrand, en novembre 1984, à se rendre à Damas alors que nous soupçonnions le régime syrien d’avoir commandité l’assassinat de l’ambassadeur Delamare (1981) et l’attentat du Drakkar (1983). Le calcul alors était de négocier avec un État terroriste pour en limiter la capacité de nuisance. Aujourd’hui, après la terrible guerre de ces dernières années, serait-il vraiment utile de discuter avec un pouvoir qui constitue l’une des composantes du terreau qui ­nourrit le terrorisme djihadiste ?

Michel Duclos

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