Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2018). Marc-Antoine Eyl-Mazzega, directeur du Centre Énergie de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Agnia Grigas , The New Geopolitics of Natural Gas (Harvard University Press, 2017, 416 pages).

Cet ouvrage arrive en principe à point nommé : les marchés du gaz naturel connaissent des bouleversements profonds depuis que les États-Unis sont en passe de devenir l’un des premiers exportateurs de gaz naturel liquéfié (GNL) au monde, tout comme l’Australie. Les fournisseurs traditionnels, Russie ou Qatar, font face à l’arrivée de nouveaux concurrents transformant des marchés jusqu’alors très régionaux en un marché de plus en plus global. Mais l’analyse laisse une place prépondérante à l’offre tandis que les bouleversements liés à la demande sont négligés.

Or c’est là que se joue en grande partie la nouvelle géopolitique des marchés gaziers : les discussions et politiques de la transition énergétique menées dans l’Union européenne (UE), et qui vont redéfinir le rôle du gaz naturel à l’horizon 2050, sont complètement sous-évaluées. Pourtant l’UE est et restera le troisième marché gazier mondial. Il en va notamment du rôle du gaz pour la production d’électricité dans un bouquet électrique décarboné, des gaz renouvelables, et des enjeux liés à la mobilité propre. À l’échelle globale, la géopolitique du gaz est aussi bouleversée, côté demande, par l’arrivée de nouveaux importateurs de GNL dans les pays émergents.

D’une manière générale, c’est la question du rôle des consommateurs qui mériterait d’être aussi au centre d’une telle analyse : sont-ils prêts à acheter le gaz à n’importe quel prix, en Europe, en Chine ou dans d’autres pays émergents ? Comment faire face à la concurrence du charbon peu cher et souvent disponible en abondance comme ressource intérieure pour la production d’électricité dans de nombreux pays émergents ? À quelles conditions le gaz peut-il jouer un rôle clé dans la transition énergétique ? Quel peuvent être ce rôle, et ses conséquences, pour les producteurs et les investisseurs ? Quels bouleversements dans les équilibres cela implique-t-il ? Qui dans le monde détient encore des ressources pouvant être développées et mises sur les marchés à des prix compétitifs ? Et quels nouveaux systèmes d’approvisionnement, ou technologies, sont amenés à jouer un rôle clé ?

En revenant longuement sur l’histoire des exportations américaines de GNL, le rôle de la Russie et de l’Ukraine comme pays de transit, ou encore celui des producteurs de la Caspienne, l’ouvrage n’apporte pas d’éléments analytiques ou informationnels nouveaux, et ces enjeux sont déjà connus et documentés. Ce qui tend à faire de cet ouvrage une énième analyse descriptive qui n’apporte pas les bonnes clés pour répondre aux grandes questions d’aujourd’hui, pour cette industrie ou au niveau des politiques publiques. L’ouvrage prédit un recul de l’influence russe du fait de l’érosion des parts de marché de Gazprom dans ses marchés traditionnels : en 2016 et 2017, le gaz russe vendu par Gazprom ne s’est jamais aussi bien porté sur les marchés européens. Le gaz russe est plus compétitif que le GNL, notamment américain, qui s’est pour l’instant vendu dans les pays émergents.

Si les aspects de demande pour le GNL américain en sont presque réduits à l’analyse des capacités de regazéification disponibles dans le monde, l’ouvrage a cependant quelques mérites : celui de souligner que l’émergence des États-Unis comme l’un des principaux exportateurs de GNL va renforcer la sécurité des marchés gaziers car les exportations américaines seront très flexibles, susceptibles de répondre rapidement à des variations de prix partout dans le monde.

Marc-Antoine Eyl-Mazzega

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