Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2018). Pauline Schnapper propose une analyse de l’ouvrage de Geoffrey Evans et Anand Menon, Brexit and British Politics (Cambridge, Polity Press, 2017, 144 pages).

Le référendum du 23 juin 2016, lors duquel les électeurs britanniques ont choisi à 52 % de sortir de l’Union européenne (UE), a déjà donné lieu à nombre de publications outre-Manche, qui ont analysé la campagne, les résultats ou les conséquences prévisibles du Brexit. L’ouvrage de Geoffrey Evans et Anand Menon se distingue des précédents en se penchant sur les facteurs qui expliquent ce vote, et sur les nouvelles divisions politiques et sociologiques qu’il révèle au Royaume-Uni, que les partis et clivages idéologiques traditionnels peinent à représenter.

La division entre Leavers et Remainers apparue en 2016 ne recoupe pas, en effet, les découpages sociaux et géographiques habituels entre la gauche et la droite, l’électorat favorable au retrait, par exemple, provenant aussi bien de la classe moyenne conservatrice du sud de l’Angleterre que de régions ouvrières du nord habituellement favorables au Parti travailliste. Le référendum a montré, plus fondamentalement, le rejet du consensus néolibéral (sur le plan économique comme sur le plan social) qui rapprochait les deux grands partis depuis les années 1990, lorsque le New Labour de Tony Blair avait accepté une partie de l’héritage de Margaret Thatcher. L’âge est apparu comme un facteur explicatif très fort, les jeunes (qui se sont peu déplacés lors de ce scrutin) étant majoritairement favorables au maintien dans l’UE, alors que les personnes âgées, qui votent davantage, y étaient majoritairement opposées.

Les auteurs montrent aussi que la campagne elle-même a eu peu d’impact sur des opinions qui s’étaient formées au cours des années précédentes, même si la campagne du Leave a été très habile, parvenant à faire du statu quo (rester dans l’UE) un danger d’instabilité pour l’avenir du pays. Le rejet de l’immigration, en provenance de l’Union en l’occurrence, est apparu comme un des principaux facteurs permettant d’interpréter le vote, ce qui explique en grande partie le refus de Theresa May d’envisager un maintien dans le marché unique après le Brexit, puisqu’il supposerait d’accepter le principe de la libre circulation des personnes. Le Premier ministre a donc privilégié la politique sur le bon sens économique, qui militerait en faveur du maintien dans le marché et l’union douanière.

Malgré la remontée des travaillistes aux élections législatives de juin 2017, au moins en nombre de voix, et le relatif échec des conservateurs, qui dépendent de dix députés unionistes d’Irlande du Nord pour leur survie au gouvernement, rien n’indique que ces nouveaux clivages se soient atténués depuis 2016. Ils rendent l’action politique très compliquée, puisque le gouvernement comme l’opposition doivent répondre à des injonctions contradictoires de leurs électorats respectifs. Cela explique, pour partie du moins, les difficultés qu’éprouve le gouvernement à clarifier le but ultime recherché dans ses négociations à Bruxelles sur l’avenir des relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, et les ambiguïtés du parti travailliste dans l’opposition à adopter une position claire sur un hard ou un soft Brexit.

Pauline Schnapper

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