Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère
(n° 4/2018)
. Barbara Kunz propose une analyse de l’ouvrage de William H. Hill, No Place for Russia: European Security Institutions since 1989 (Columbia University Press, 2018, 536 pages).

William H. Hill, ancien diplomate américain et fin connaisseur de la Russie, décrit l’émergence de l’architecture de sécurité européenne post-guerre froide et la place qu’y occupe la Russie. L’auteur retrace l’évolution des institutions de cette architecture – Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), Union européenne (UE), Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) – et les approches des principaux acteurs étatiques, notamment États-Unis, Russie et pays de l’UE. Constatant dès le départ qu’aucun de ces acteurs n’a su définir le rôle et la place de la Russie dans l’architecture européenne ou euro-atlantique, il cherche à en comprendre les raisons et à décrire les étapes qui ont mené à la situation conflictuelle d’aujourd’hui.

En 11 chapitres fondés sur un nombre impressionnant de sources, William Hill retrace les hauts et les bas des relations de sécurité entre l’Occident et la Russie. Dans une approche chronologique, il décrit la multitude de décisions prises dans leur contexte et les raisonnements qui les déterminent. Il nous fait revivre la période formatrice de 1989 jusqu’au milieu des années 1990, sur fond de guerre en Yougoslavie. Puis se cristallise l’extension des institutions occidentales, et donc la fin de l’idée d’une architecture paneuropéenne « de Vancouver à Vladivostok ». C’est la montée des désaccords et des rivalités – avec la phase du « reset » américain – et finalement la guerre en Ukraine.

L’approche chronologique fait la force du livre. On y retrouve tous les mots-clés des débats russo-occidentaux des dernières décennies : les « classiques » – élargissement de l’OTAN, Kosovo ou Géorgie… –, mais aussi des aspects plus complexes, plus difficiles à instrumentaliser dans un sens ou dans un autre, donc moins saillants, comme le naufrage du régime européen de maîtrise des armements conventionnels ou le débat sur la défense anti-missile.

Un autre point fort de No Place for Russia est l’importance accordée à l’OSCE, organisation si souvent délaissée par les nombreux récits qui s’intéressent seulement à l’OTAN ou l’UE. C’est pourtant bien l’OSCE qui incarne l’idée d’une architecture de sécurité paneuropéenne. C’est aussi à l’OSCE, et seulement à l’OSCE, que la Russie est assise autour de la même table que Washington et les autres pays occidentaux, jouissant des mêmes droits. Autrement dit, l’état de l’OSCE en dit long sur l’état de la sécurité coopérative en Europe.

Le principal intérêt de ce livre est son absence de jugement lorsqu’il s’agit de comprendre la genèse de l’actuelle architecture de sécurité européenne. Le récit de William Hill est en grande partie le récit de contingences, d’une suite de décisions, et surtout de réactions, aux événements, sans qu’ait existé de véritable stratégie ou de vision d’ensemble. Pour l’auteur, les dirigeants américains, européens, russes et ukrainiens ont tous commis des erreurs. Sans forcément le vouloir, la somme de leurs décisions a inexorablement mené à « une relation à somme nulle entre l’OTAN et l’UE d’un côté et la Russie de l’autre ». Le fait d’admettre que les choses puissent être vues différemment depuis différentes capitales fait ainsi la grande force de cet ouvrage qui mérite d’être largement lu – notamment au vu de l’annonce du président Macron de son intention de « revisiter » l’architecture de sécurité européenne.

Barbara Kunz

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