Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère
(n° 4/2019)
. Marc Hecker, rédacteur en chef de Politique étrangère et chercheur au Centre des études de sécurité de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de François Thuillier, La Révolution antiterroriste (Temps présent, 2019, 256 pages).

François Thuillier a effectué une grande partie de sa carrière à la Direction de la surveillance du territoire (DST) et à l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT). S’il a attendu d’être à la retraite pour écrire La Révolution antiterroriste, c’est que le contenu de cet essai est radical. Radical, d’une part au sens étymologique du terme : l’auteur y développe une réflexion stimulante sur les racines du terrorisme et de la lutte contre le terrorisme. Radical, d’autre part au sens de la contestation d’un ordre établi : l’ancien policier se livre en effet à un véritable réquisitoire contre l’évolution de la politique antiterroriste. La diatribe est tellement virulente qu’on peine à croire que l’auteur ait pu travailler si longtemps place Beauvau sans devenir schizophrène. Selon Thuillier, nous aurions purement et simplement « basculé dans un régime antiterroriste contraire à nos intérêts ».

L’auteur commence par analyser le « modèle latin du renseignement » qui a historiquement existé en France et reposait sur un trépied : fragmentation des agences, rôle central du secret et prédominance de l’approche judiciaire. Il décrit ensuite la manière dont, dans les années 1980 et 1990, la lutte antiterroriste a fait évoluer ce modèle dans trois directions : spécialisation, centralisation et coordination. Il examine enfin les dynamiques du basculement vers un autre modèle, plus proche de celui de nos alliés américain et britannique.

Deux concepts anglo-saxons sont, par exemple, rejetés par l’auteur : la guerre contre le terrorisme et la lutte contre la radicalisation. S’opposant à la militarisation de la lutte contre le terrorisme, Thuillier estime que les terroristes doivent être traités comme des criminels. Leur reconnaître le statut de soldat serait leur faire beaucoup d’honneur. Quant à la lutte contre la radicalisation, elle nous ferait passer « d’une police de l’acte à une police du comportement ». Ce « principe de précaution appliqué aux personnes » constituerait, selon l’auteur, une régression philosophique. Celle-ci se doublant d’une régression juridique. La loi du 30 octobre 2017 aurait rendu l’état d’urgence permanent, permettant aux autorités de prendre des mesures administratives préventives contre des individus considérés comme radicaux, et nous éloignant ainsi de l’état de droit. Par ailleurs, les contours imprécis de la notion de radicalisation, couplés à la « révolution technique du renseignement », auraient favorisé l’émergence d’une surveillance de masse.

L’ancien policier va très loin dans sa critique : il dénonce une dérive généralisée, qui toucherait tous les milieux. Sondages à l’appui, il montre qu’une majorité de la population approuve le rognement des libertés individuelles au profit de la sécurité. La métaphore qu’il privilégie est celle des digues sautant les unes après les autres : « La crue des peurs et des ignorances a tout emporté. Comme une rivière de plaine, paresseuse et reptilienne, comme un fleuve endormi réveillé dans la nuit, la lutte antiterroriste est sortie de son lit. »

Cet ouvrage fera probablement grincer des dents, suscitera des polémiques. Son auteur sera sans doute traité de « naïf » par ses détracteurs et de « courageux lanceur d’alerte » par ses défenseurs. Il mérite en tout cas d’être lu.

Marc Hecker

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