Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2020). Matthieu Tardis propose une analyse de l’ouvrage de Julian Fernandez, Exilés de guerre. La France au défi de l’asile (Armand Colin, 2019, 192 pages).

Les réfugiés suscitent une attention sans précédent en Europe de la part des responsables politiques, des médias et des citoyens depuis 2015. Il est donc naturel, et utile, que les chercheurs se joignent au débat public pour l’éclairer et se distancer de positions souvent aussi passionnées qu’irrationnelles.

L’ouvrage de Julian Fernandez parvient à décrire les enjeux du droit d’asile de manière simple et accessible sans sacrifier la justesse et la précision (de manière pourtant moins convaincante sur l’intégration ou les droits des réfugiés). Ce n’est pourtant pas là un ouvrage de vulgarisation sur l’asile, et il conviendra parfaitement aux lecteurs souhaitant entrer dans le sujet en privilégiant une approche juridique et réglementaire.

Membre de l’Association pour les études sur la guerre et la stratégie (AEGES), Julian Fernandez pose également la question – affichée dans le titre de l’ouvrage – des exilés de guerre. Nous savons depuis longtemps – depuis l’adoption de la Convention de Genève de 1951 – que la qualité de réfugié recouvre des réalités à la fois plus larges et plus restreintes que les seules situations de guerre. D’un côté, le droit d’asile peut être reconnu à des personnes fuyant leur pays pour des motifs d’opinion, ou du fait de leur genre, sans que cela survienne dans un contexte de guerre. De l’autre, toutes les victimes de guerre et de violences généralisées ne sont pas éligibles au statut de réfugié.

La protection de l’exilé de guerre n’est donc pas systématique en France, comme dans les autres pays européens, d’autant que Julian Fernandez rappelle les mutations de la guerre depuis les années 1990. Il souligne que si les guerres « classiques » diminuent, les conflits armés non internationaux se multiplient, impliquant l’intervention d’acteurs non étatiques. Si le droit international humanitaire et le droit pénal international ont tenté de qualifier juridiquement ces « nouveaux types » de conflits, ces qualifications ne s’imposent pas aux juges de l’asile du fait de l’autonomie du droit des réfugiés.

La protection des exilés de guerre se heurte à un autre obstacle : celui de l’individualisation des craintes ou des menaces dans le pays d’origine. En Europe, le droit d’asile est un droit individuel et s’accorde mal avec une reconnaissance collective des victimes de violences indiscriminées. L’adoption de la protection subsidiaire en 2004 – protection complémentaire à celle qui résulte de la Convention de Genève – permet d’ouvrir la reconnaissance du droit d’asile à des cas plus larges d’exilés de guerre, mais elle n’échappe pas à la contrainte de la personnalisation des menaces.

L’auteur rappelle que l’Union européenne dispose des outils nécessaires pour accorder une protection aux exilés de guerre. Elle a notamment créé la protection temporaire en 2001, au lendemain d’une décennie marquée par les guerres dans les Balkans. Cette protection n’a pourtant jamais été activée, y compris lors des arrivées importantes de Syriens en 2015.

On saisit dès lors la dimension politique du droit d’asile, dont la principale contrainte est celle du chiffre. Les pays européens, dont la France, sont prêts à protéger les exilés tant que ceux-ci arrivent en nombre limité. Progressivement, le droit d’asile glisse d’un droit individuel reconnu par les instruments internationaux et européens, à un outil de gestion des flux migratoires.

Matthieu Tardis

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