Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2020). Rémy Hémez propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Peter R. Mansoor et Williamson Murray, The Culture of Military Organizations (Cambridge University Press, 2019, 480 pages).

L’existence de styles nationaux en matière stratégique et militaire était déjà objet de débats à l’époque de Xénophon. Pour autant, le concept de culture ne s’est réellement imposé dans le champ des études sur la guerre que depuis la fin des années 1970, avec les travaux de Russell Weigley sur la culture stratégique américaine.

L’ouvrage dirigé par Peter R. Mansoor – ancien officier de l’armée américaine, historien et professeur associé à l’Ohio State University – et Williamson Murray, lui aussi historien et professeur dans la même institution, rassemble les actes d’une conférence qui s’est tenue dans cette université le 29 septembre 2017. Le livre a pour ambition, au travers de seize cas d’études, d’examiner comment et pourquoi la culture des organisations militaires a un effet sur leurs performances au combat.

En parcourant le sommaire, on constate d’abord un déséquilibre prononcé au profit des sujets anglo-américains. Dix des seize contributions sont consacrées aux forces armées américaines et britanniques. Cette domination est totale pour les forces aériennes et maritimes, avec exclusivement des contributions sur ces deux pays. L’introduction de Mansoor et Murray et la première partie du livre, avec une contribution sur la culture et les organisations militaires, et une autre de David Kilcullen sur la culture stratégique, cherchent à poser les bases théoriques du débat. Elles n’y parviennent pas véritablement faute, en particulier, de mobiliser la littérature récente sur ces sujets.

La deuxième partie du livre, consacrée aux forces terrestres, est aussi la plus volumineuse (onze contributions sur seize). Elle s’ouvre sur deux développements sur la guerre de Sécession, puis enchaîne des contributions sur les armées allemande (1871-1945), indienne (1900-1947), britannique (période victorienne et 1914-1945), japonaise (1918-1945), soviétique (1917-1945), israélienne (centrée sur ses origines), américaine (1973-2017) et irakienne (1921-2003). La qualité des contributions est inégale. Celle sur l’armée allemande est particulièrement décevante ; d’autres sont de bonnes synthèses nuancées comme les écrits de P. Mansoor sur l’US Army ou ceux de Kevin M. Woods sur l’armée irakienne, qui montrent notamment que la création par le parti Baas d’organisations militaires parallèles a eu un effet désastreux sur l’efficacité au combat.

Les troisième et quatrième parties du livre, beaucoup plus courtes, sont dédiées aux forces maritimes et aériennes. On y retrouve des développements sur les armées de l’Air britannique (1918-1945) et américaine (1947-2017), les marines britannique (1900-1945) et américaine (1945-2017), ainsi que sur le corps des marines (1973-2017), Allan R. Millet dressant un intéressant portrait d’une organisation en lutte pour maintenir l’équilibre entre deux cultures qui coexistent en son sein : celle du guerrier, et celle qui dérive de son caractère de plus en plus technologique.

Même s’il offre quelques bonnes synthèses, cet ouvrage reste décevant au moins à trois titres : sa trop forte focalisation sur des sujets anglo-américains, l’inégalité des contributions, et la non-prise en compte d’une bonne partie de la littérature récente sur la culture des organisations et l’efficacité militaire.

Rémy Hémez

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