Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère 
(n° 3/2020)
. Fatiha Dazi-Héni propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Madawi Al Rasheed
, Salman’s Legacy: The Dilemmas of a New Era in Saudi Arabia (Hurst, 2020, 384 pages).

L’ouvrage dirigé par Madawi Al Rasheed, historienne reconnue et opposante notoire du royaume saoudien, a le mérite d’éviter le piège du choix entre les deux écoles qui s’opposent sur l’analyse de ce pays. Les tenants de la thèse sur la résilience du Royaume soulignent sa capacité à affronter les défis, quand les « collapsologues » spéculent sur la disparition imminente de la maison Al-Saoud. Cette controverse s’impose de nouveau depuis que le roi Salmane a dérogé aux mécanismes de la succession, en privilégiant son lignage au détriment de celui des autres descendants directs du roi fondateur.

L’ouvrage éclaire les composantes de la trajectoire contemporaine du Royaume afin d’évaluer les défis actuels, mais de façon inégale dans les trois parties qui le composent.

La première partie est la plus aboutie, avec cinq chapitres consacrés aux relations entre État et société. G. Gause y étudie les trois composantes fondamentales qui ont assuré la stabilité du régime : les réseaux de patronage pétroliers, l’establishment religieux, et la cohésion de la famille royale. À cela s’ajoute le soutien américain au régime. M. Al Rasheed étudie avec beaucoup d’originalité la succession, élément crucial du régime, en soulignant comment l’ambiguïté qui règne autour du processus génère une mystique de la monarchie et contribue à amplifier toutes sortes de rumeurs et d’incertitudes. S. Hertog revisite, quant à lui, la redistribution économique à l’aune de la chute des cours pétroliers, à partir de la fin 2014 et des réformes de Mohammed Ben Salmane (MBS). S. Alamer examine deux mobilisations régionalistes à Qatif (ville chiite de l’Est) et à Buraydah (fief wahhabite de la région centrale), déconstruisant les revendications sectaires qui ne sont, selon lui, pas déterminantes dans la construction de ces identités régionalistes. N. Doaiji conclut cette passionnante partie en étudiant l’émancipation du féminisme saoudien de la tutelle étatique, dans le contexte des printemps arabes, parallèlement aux campagnes menées par l’Association pour les droits civiques et politiques (HASM) à partir de 2011.

La partie sur le religieux est plus contrastée. Deux chapitres relatent – une énième fois – la genèse du terme « salafisme » et du wahhabisme transnational, sans apport substantiel. Le chapitre très stimulant de C. Bunzel alerte sur l’adoption manifeste par l’État islamique d’une posture wahhabite, alors que le Royaume, sous l’impulsion de MBS, s’en écarte nettement. Ceci amène l’auteur à craindre une potentielle instabilité dans le pays. La contribution de N. Samin, qui explore le sens de la poésie djihadiste dans un contexte tribal où la tension est forte entre identités tribale, islamique et nationalisme, est tout aussi saisissante.

La dernière partie, consacrée aux relations internationales, est quelque peu sommaire, à l’image de la présentation de la vision du monde du roi et de son fils qu’en fait M. Al Rasheed. L’originalité vient ici de T. Mattiesen, qui s’intéresse au rôle rarement évoqué du Royaume comme l’un des pivots de la stratégie américaine durant la guerre froide. Enfin, le chapitre de N. Tamimi sur la relation sino-saoudienne et son analyse prospective, à l’aune de la relation avec les États-Unis, retient particulièrement l’attention.

Cet ouvrage s’avère fort utile pour comprendre le royaume du roi Salmane et de son imprévisible dauphin.

Fatiha Dazi-Héni

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