Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2020-2021 de Politique étrangère (n° 4/2020). Rémy Hémez propose une analyse de l’ouvrage de Patrick Manificat, Qui ruse gagne. Une anthologie de la tromperie guerrière  (Histoire et Collections, 2020, 272 pages).

Officier ayant servi dans plusieurs unités parachutistes et de forces spéciales, le général Manificat se penche ici sur les ruses de guerre. Soulignons d’abord l’intérêt de la démarche. Alors que les stratagèmes sont présents à toutes les époques et dans toutes les cultures, il existe finalement assez peu d’ouvrages récents en français sur le sujet. Parmi les rares exceptions, citons celui de Jean-Vincent Holeindre, La Ruse et la Force, paru en 2017, et qui a fait l’objet d’une recension dans Politique étrangère (n° 2/2017, p. 199-200). Patrick Manificat propose un recueil de stratagèmes avec une ambition précise : participer au renouveau de l’usage de la ruse alors que les conflits pourraient être de plus en plus symétriques.

L’ouvrage s’articule en vingt courts chapitres qui présentent à chaque fois un volet des ruses de guerre. On y retrouve des développements sur le camouflage, la simulation, la diversion, la perfidie, le trucage, le brouillage et l’intrusion, les pièges, la guerre psychologique, la propagande, l’influence, la maskirovka (l’art russe des opérations de déception), etc. Des exemples nombreux et extrêmement variés sont présentés de façon claire et synthétique. La plupart sont des « classiques » comme le cheval de Troie ; le camouflage razzle dazzle de certains navires pendant la Grande Guerre afin de compliquer l’estimation de leur direction et de leur cap par les sous-marins ; les leurres de chars russes et allemands pendant la Seconde Guerre mondiale ; l’opération Fortitude, une des opérations de deception autour du débarquement de Normandie en 1944 ; ou encore l’utilisation de la cyber-propagande par Daech. Ce large éventail des possibles, puisé à de très nombreuses sources, donne une lecture stimulante et représentative de la multiplicité de voies envisageables pour tromper un adversaire. Dans ce domaine aussi, il n’y a de limites qu’à l’imagination.

Bénéficiant d’une illustration abondante et particulièrement bien sélectionnée, ce livre souffre néanmoins de quelques défauts. Tout d’abord, l’auteur adopte une acception très large de la ruse qui l’amène par exemple à aborder la question de la désinformation autour du génocide au Rwanda. On relèvera également quelques imprécisions. L’ouvrage présente notamment les quaker guns de la guerre de Sécession – des rondins de bois simulant des pièces d’artillerie – comme une ruse des Confédérés, alors qu’elle est largement partagée par les deux camps. Il affirme également que Clausewitz n’a « jamais recours » à la ruse. Ce dernier la considère effectivement comme un expédient, une qualité rare, produit de la chance et du génie que sa faible occurrence empêche de considérer comme une aptitude essentielle du stratège. Néanmoins, et même si pour Clausewitz dans les affrontements de masse c’est la force qui fait la différence, il ne rejette pas entièrement la ruse. Autre source d’imprécision : les références citées sont souvent incomplètes.

Avec ce livre, Patrick Manificat offre cependant aux praticiens de la tactique une bibliothèque mentale de ruses dont ils pourront s’inspirer à loisir. Les traités de stratagèmes des Anciens avaient le même but. La lecture de cet essai peut aussi être utile à l’amateur d’histoire militaire cherchant à s’initier aux ruses de guerre.

Rémy Hémez

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