La rédaction a le plaisir de vous offrir à lire ce second article de Patrick Allard, « COVID-19 : géopolitique de l’immunité collective », publié dans le nouveau numéro de Politique étrangère (n° 2/2021), disponible depuis le 7 juin.

« Vacciné : ne fréquenter que des personnes vaccinées. »  
Gustave Flaubert, Dictionnaire des idées reçues.

La perspective d’une guerre courte contre la pandémie de COVID-19 s’est vite dissipée. L’horizon du « jour d’après » a toujours été celui de l’immunité collective contre le virus : par la contamination quasi générale ou par la vaccination de la majeure partie de la population. Le développement inattendu de vaccins efficaces a rendu réaliste le scénario d’immunisation collective de l’humanité par la vaccination.

L’apparition et la diffusion de variants plus contagieux, ou menaçant l’immunité acquise naturellement ou par la vaccination, rehaussent le seuil de l’immunité collective et en perturbent la progression. Mais pas plus que les aléas de la production et de la distribution des vaccins, ou les hésitations des autorités sanitaires et les réticences des populations (focalisées jusqu’ici sur le vaccin AstraZeneca), elles n’invalident l’hypothèse d’une sortie de crise par la vaccination.

Dès les débuts de la pandémie, l’Assemblée mondiale de la santé a reconnu l’immunisation comme un « bien public mondial ». Pour autant, la sortie de la pandémie promet d’être très westphalienne, contrastée d’un continent et d’un pays à l’autre, en fonction de la précocité de la vaccination et du choix des vaccins, divisant le système international en une double tripartition et créant des défis diplomatiques durables.

Dès la fin de l’année 2021 et pour les deux à trois prochaines années, l’inégale précocité de la vaccination de masse partagera le monde en trois catégories de pays

Les pays de la première catégorie auront vacciné la majeure partie de leur population. La deuxième catégorie sera composée des quelques pays disposant de capacités de développement et de production de vaccins mais qui n’auront pas voulu ou pas pu donner la priorité à la vaccination de leur population, faute de capacités de production et/ou du fait de contraintes logistiques, parfois aggravées par une priorité donnée à l’exportation. La troisième catégorie comprendra les pays qui n’ont pas endigué la pandémie et qui n’auront pas non plus, faute de capacités de production ou de moyens financiers et logistiques, faute parfois aussi de motivation des élites ou de la population, lancé de campagnes de vaccination de masse, ou en seront encore à un stade initial.

La première catégorie comprend les États-Unis, le Royaume-Uni, les membres de l’Union européenne et des pays à haut revenu qui, souvent durement frappés par la pandémie, ont privilégié la vaccination rapide de leur population

Mi-avril 2021, 161 pays sur 195 ont engagé une campagne de vaccination, ayant administré 880 millions de doses. C’est le cas de pratiquement tous les pays d’Amérique du Nord et du Sud, et des pays d’Europe occidentale, de presque tous les pays du Moyen-Orient mais de seulement la moitié des pays d’Afrique subsaharienne ou d’Océanie. Près de 90 % des doses administrées l’ont été dans des pays à haut revenu ou dans des pays à revenu intermédiaire de tranche supérieure, moins de 15 % dans les pays à revenu intermédiaire de tranche inférieure, 0,2 % dans les pays à faible revenu. D’ici fin 2021, d’après l’Economist Intelligence Unit, seuls les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Union européenne (UE) et quelques petits pays à haut revenu dont Israël, les Émirats arabes unis, les Seychelles, Hong Kong et Singapour devraient avoir réussi à vacciner la majeure partie de leur population adulte et pourraient avoir touché le seuil de l’immunité collective.

En dépit des aspirations initiales à « une collaboration mondiale visant […] l’accès équitable aux nouveaux diagnostics, traitements et vaccins COVID-19 » affichées par certains de leurs dirigeants, les États solvables ont préféré conclure, individuellement ou collectivement s’agissant de l’UE, des accords avec les industriels. Ils ont ainsi préempté plus de quatre milliards de doses des cinq vaccins autorisés ou en passe de l’être, dont 97 % de celles du vaccin à ARN messager de Moderna, 77 % de celles du vaccin de Pfizer-BioNTech (P-BNT) également à ARN messager, et 30 % à 40 % de celles d’Oxford-AstraZeneca (O-AZ) et de Johnson & Johnson (J&J), l’un et l’autre à vecteur viral non répliquant.

Selon McKinsey, le nombre de vaccinations per capita commandées et préachetées par 100 habitants (à raison de 2 injections, sauf pour le vaccin de J&J), tous vaccins confondus, atteint parfois des niveaux très élevés : plus de 5 au Canada, entre 1,7 et 4,1 aux États Unis, entre 2,1 et 3 dans l’UE ; contre 0,8 en Inde, 0,6 en Chine, 0,7-0,8 en Amérique latine, 0,5 au Moyen-Orient/Afrique du Nord, 0,5-0,6 dans l’Afrique subsaharienne.

La priorité donnée à la vaccination des populations nationales renvoie à l’impact de la pandémie sur les conditions sanitaires et l’économie de pays qui n’ont pas réussi à l’endiguer à ses débuts et ont dû affronter des vagues successives, ainsi qu’aux souhaits de la majeure partie de ces populations. Londres, qui dépend en partie des productions du vaccin d’O-AZ dans l’UE et en Inde, semble par exemple avoir signé un accord préférentiel avec AstraZeneca. Les États-Unis disposent d’un dispositif juridique datant des années 1950 pour imposer aux entreprises produisant sur territoire américain de donner la priorité aux contrats passés avec Washington. Le dispositif, évoqué à la fin de l’administration Trump, et activé par l’administration Biden, n’interdit pas directement les exportations. Mais, de fait, les États-Unis n’ont exporté de vaccins, en petite quantité, qu’à destination du Canada et du Mexique, tout en accumulant des stocks de vaccins excédentaires (jusqu’à 300 millions de doses ou plus, d’ici l’été 2021, au cas où les vaccins d’AstraZeneca et de Johnson&Johnson resteraient utilisés pour tout ou partie de la population). Enfin, l’UE, hôte de sites de fabrication de plusieurs des vaccins autorisés ou en passe de l’être, s’est dotée d’un instrument juridique permettant à ses États membres d’empêcher les exportations : l’Italie en a fait usage, bloquant des exportations, destinées à l’Australie, de vaccins AstraZeneca mis en flacons sur son territoire.

Le rythme des débuts de la campagne vaccinale a grandement différé au sein même du groupe des pays riches. Mi-avril, les plus avancés sont de petits pays : Seychelles, Israël, Émirats arabes unis, Chili, Bahreïn, Bhoutan, tous dépassant le seuil de 60 doses administrées pour 100 habitants. Le Royaume-Uni et les États-Unis affichent des performances voisines. Dans le groupe des pays à haut revenu, les plus lents sont ceux qui ont endigué la pandémie : Australie (5,7 doses pour 100 habitants), Corée du Sud (3), Nouvelle-Zélande (2,8), Japon (1,5). Comme souvent, les pays de l’UE (20) se situent entre les deux extrêmes. Par rapport aux États-Unis et au Royaume-Uni, le retard de l’UE ne s’explique pas par des commandes moins massives (8 doses par adulte, contre 9 pour Londres et 6 pour Washington), ni par la part des vaccins non délivrables (non autorisés ou non aboutis) dans les commandes (25 % contre 15 % pour les États-Unis, 35 % pour le Royaume-Uni), mais plutôt par une faiblesse générale des livraisons par rapport aux commandes délivrables : seulement 5 % à la mi-avril, contre environ 25 % aux États-Unis et au Royaume-Uni, faiblesse légèrement plus marquée pour les vaccins Moderna et P-BNT que pour le vaccin d’AstraZeneca. […]

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