Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2021 de Politique étrangère (n° 3/2021). Matthieu Tardis, chercheur au Centre Migrations et Citoyennetés de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Karen Akoka, L’asile et l’exil. Une histoire de la distinction réfugiés/migrants (La Découverte, 2020, 360 pages).

Karen Akoka aborde sans détour l’histoire de la distinction réfugiés/migrants ou, plus précisément, celle de l’évolution de la notion de réfugié des années 1950 à nos jours. Sans aucun doute, son ouvrage fera partie de ceux qui rebattent les cartes du débat. Il pourrait même le clore, en tout cas auprès de ceux qui l’abordent sans posture. D’abord, parce qu’il est d’une extrême précision, qu’il s’appuie sur des sources variées, et réfute nombre d’idées reçues. Ainsi, il contredit autant ceux qui considèrent les réfugiés « d’avant » comme plus « authentiques » que ceux d’aujourd’hui, ceux qui regrettent le temps où les institutions de l’asile étaient plus ouvertes et indépendantes que ceux qui s’interrogent sur l’adaptation de la Convention relative au statut des réfugiés – qui fête son 70e anniversaire en 2021 – aux enjeux actuels.

Pour ce faire, Karen Akoka se penche – selon ses termes, elle les « dissèque » – sur les acteurs qui mettent en œuvre le droit d’asile en France, à savoir l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra) et ses agents. Force est de constater que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas une science exacte mais un exercice éminemment politique. En se plongeant dans les archives de l’Ofpra, les parcours et les témoignages des agents, Karen Akoka décrit le passage d’un régime de reconnaissance basé sur la seule appartenance à une nationalité à un régime reposant sur la production de la preuve de persécutions individuelles. La bascule s’opère tout au long des années 1980, qui connaissent une chute du taux de reconnaissance du statut de réfugié. Le développement de l’expertise et du positivisme juridique a rigidifié les contours de la notion de réfugié, et a exigé des demandeurs d’asile – terme apparu à la fin des années 1980 – des preuves de leurs persécutions, difficiles voire impossibles à produire. Pourtant, les réfugiés d’Espagne, d’Europe de l’Est, d’URSS, puis, dans les années 1970, d’Asie du Sud-Est auxquels on délivrait automatiquement le statut de réfugié n’étaient pas davantage des militants politiques, ou moins des migrants économiques, que les demandeurs d’asile d’aujourd’hui.  

Les visages mêmes de ceux qui constituent l’Ofpra symbolisent les mutations de l’institution. À sa création, il était évident que les agents devaient être des réfugiés, en l’occurrence issus de l’élite cosmopolite d’Europe de l’Est et centrale et des républicains espagnols. L’Ofpra était alors un véritable « consulat des dissidents ». Les agents sont aujourd’hui de jeunes diplômés français – souvent contractuels – soumis aux cadences infernales et aux méthodes du new public management. L’Ofpra est devenu « l’administration des demandeurs d’asile ».

Karen Akoka montre les assignations évolutives du droit d’asile et, in fine, des catégories de réfugiés et de migrants. Jusqu’aux années 1980, l’asile était un outil de politique étrangère permettant d’affirmer la supériorité morale du bloc occidental face à l’ennemi communiste. Depuis quarante ans, le droit d’asile est subordonné aux objectifs de réduction des flux migratoires, et est devenu un sujet de débat politique interne. L’Ofpra y a gagné en moyens d’action, certainement en autonomie vis-à-vis de l’exécutif, peut-être en professionnalisme, mais pas en distance par rapport à son sujet : les réfugiés.

Matthieu Tardis

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