Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne 2021 de Politique étrangère (n° 3/2021). Guillaume Lasconjarias propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Janne Haaland Matlary et Robert Johnson, Military Strategy in the 21st Century: The Challenge for NATO (Hurst, 2020, 400 pages).

Le constat n’est pas nouveau : le mot « stratégie » a perdu de son sens comme le disait un article fondateur de Hew Strachan. Soit par un emploi démultiplié à l’excès, soit par le refus de le considérer dans sa dimension militaire. Face à cette aporie, et alors que d’autres pays s’enhardissent, que peut faire l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) ? Il ne s’agit pas tant de définir les objectifs que de lister les défis à la fois géopolitiques, mais aussi internes, que doit traverser l’Alliance, laquelle a été largement chahutée durant la présidence Trump – le livre, publié en 2020, ne peut prendre en compte la nouvelle administration Biden.

La première partie – à l’exception de l’article de Michta sur la grande stratégie US – demeure très théorique et revient sur les liens entre le politique et la stratégie militaire. La nouveauté est là relativement absente sauf pour un développement sur la stratégie maritime de l’OTAN et les défis technologiques. On aurait souhaité élargir la discussion à la façon dont les débats technologiques trouvent leur place dans l’Alliance, occultant souvent la place réelle de la stratégie en substituant le « avec quoi » au « pour quoi ».

La seconde partie synthétise les relations entre la stratégie militaire et le type de guerre : nucléaire, conventionnelle et irrégulière, jusqu’aux zones grises. Là encore, il aurait pu s’agir de rappeler les débats et la façon dont l’OTAN, à la fois comme organisation et comme acteur militaire, a pu prendre part aux questions et aux débats, les orienter ou se laisser guider par certains alliés. Les auteurs décrivent, plus qu’ils ne soulignent, ces tensions.

On aborde donc la dernière partie avec curiosité : il s’agit de décrire la stratégie militaire de l’OTAN, des États-Unis, mais aussi de la France, du Royaume-Uni, de l’Allemagne, de la Pologne, du Danemark, de la Norvège et de la Turquie. Outre un choix qui prête à l’étonnement, on relève quelques incertitudes, voire des raccourcis. Les développements sur les États-Unis n’apportent aucun éclairage nouveau, et c’est assez peu étonnant s’agissant de l’auteur, qui a servi au Pentagone et à la Maison-Blanche sur les questions otaniennes. Sur la France, l’analyse de la Revue stratégique de 2017 et du discours d’Emmanuel Macron du 7 février 2020 forme un cadre attendu, mais certaines explications – la propension française aux opérations extérieures mise sur le compte de l’absence d’« inhibition culturelle » – laissent perplexe. Et la conclusion, qui souligne l’incompréhension des initiatives présidentielles françaises dans les capitales européennes (notamment sur l’autonomie stratégique ou l’Europe de la défense), affirme trop rapidement que nos alliés nous considèrent comme un facteur de déstabilisation.

Oscillant entre théorie et illustrations pratiques, cet ouvrage montre vite ses limites. Sur la problématique de l’usage et de l’utilité de la force, on se contente d’une reprise d’interrogations traditionnelles qui n’ont pas, loin s’en faut, trouvé de réponses satisfaisantes. La seconde aporie tient à l’absence de lien explicité entre les politiques des alliés dans l’Alliance et celles des alliés à l’échelon national – la vision française aurait ainsi été plus facilement comprise. Enfin, les auteurs se concentrent très (trop ?) sur le rapport à la Russie – même si la Chine est citée.

Guillaume Lasconjarias

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