Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne 2021 de Politique étrangère (n° 3/2021). Tolga Bilener propose une analyse de l’ouvrage de Selçuk Çolakoğlu, Turkey and China: Political, Economic, and Strategic Aspects of the Relationship (World Scientific Publishing, 2021, 168 pages).

Sujet incontournable des études sur les relations internationales contemporaines : la République populaire de Chine et son émergence. Les publications sur cette dernière s’accumulent, y compris sur ses relations extérieures qui ne cessent de s’étendre sur l’ensemble du globe.

L’ouvrage de Selçuk Çolakoğlu nous parle de la politique étrangère chinoise en prenant comme angle d’attaque l’un de ses aspects relativement méconnu : ses relations avec la Turquie, pays dont les ambitions géopolitiques ont aussi fait couler beaucoup d’encre ces dernières années. Les relations entre Chinois et Turcs sont anciennes, puisque l’origine des peuples turciques se situe dans les steppes aux confins de l’Empire du Milieu, sans parler de la route de la soie historique qui rejoignait l’Asie Mineure. Annoncées par le président Xi Jinping en 2013, les Nouvelles routes de la soie pourraient elles aussi passer, entre autres, par l’Anatolie pour mieux relier les marchés européens à la Chine. D’ailleurs, le gouvernement turc, conscient de l’importance géopolitique de son pays, entend pleinement profiter de l’émergence économique de la Chine.

L’auteur nous rappelle que les relations entre ces deux pays ont toujours été soumises aux réalités du système international, en consacrant le premier chapitre de son ouvrage aux relations de la Turquie avec « l’autre Chine », c’est-à-dire Taïwan, depuis la proclamation de la République populaire à Pékin en 1949 jusqu’à la reconnaissance de celle-ci par Ankara en 1971. Durant cette période déjà, un composant essentiel du dossier sino-turc se faisait remarquer : la question ouïghoure, la logique de la guerre froide inscrivant la solidarité identitaire des Turcs vis-à-vis des Ouïghours dans le contexte de la lutte contre le monde communiste.

Dans le sillage du rapprochement sino-américain lancé par l’administration Nixon, la Turquie établit des relations diplomatiques avec la Chine rouge. Mais il faut attendre les années 1990 pour que les relations bilatérales puissent vraiment être relancées, même si l’euphorie de la Turquie suscitée par l’émergence d’un monde turcophone indépendant sur les ruines de l’Union soviétique à cette époque ne manque pas d’agacer les autorités chinoises, irritées par l’activisme de la diaspora ouïghoure en Turquie.

La donne change durant la décennie 2010. D’une part, l’éloignement de la Turquie vis-à-vis de ses partenaires occidentaux, tant au plan des valeurs qu’à celui des intérêts, de l’autre la diplomatie proactive d’une Chine de plus en plus présente dans diverses régions du monde, y compris en Méditerranée orientale, ont contribué à l’approfondissement des relations sino-turques dans tous les domaines, notamment économique. Il devient alors plus compliqué pour Ankara d’évoquer le sort de ses « frères » ouïghours face à la Chine, désormais troisième partenaire commercial de la Turquie.

Comme l’indique Selçuk Çolakoğlu, Turquie et Chine sont deux puissances émergentes, certes de dimensions différentes. Leurs intérêts et exigences ne sont pas toujours convergents, ce qui rajoute de l’incertitude quant à l’avenir de leurs relations. Cet ouvrage nous décrit habilement une relation bilatérale pétrie de contradictions – ce qui rend son étude d’autant plus intéressante.

Tolga Bilener

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