Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (4/2012). Yves Gounin propose une analyse de l’ouvrage de Gilles Delafon, Le Règne du mépris: Nicolas Sarkozy et les diplomates (Paris, Éditions du Toucan, 2012, 192 pages).

Cette enquête vient grossir la pile déjà bien haute des livres à charge sur l’ex-candidat-président. Elle trouve son origine dans les « printemps arabes » qui ont consacré le divorce entre l’Élysée et le Quai d’Orsay. Nicolas Sarkozy s’en prit alors aux diplomates, auxquels il reprocha de n’avoir rien vu venir ; ceux-ci, par la voix du collectif Marly, lui rétorquèrent que le soutien aux dictatures tunisienne et égyptienne avait été décidé à l’Élysée, sans tenir compte des analyses des ambassades. C’est dans ce contexte électrique, « jamais vu sous la Ve », que le journaliste Gilles Delafon a interrogé une quarantaine de diplomates. Sous le sceau de l’anonymat et avec une liberté de ton inhabituelle, ils dressent le portrait d’un président au caractère épouvantable, terrorisant ses équipes, obsédé par les médias et le court terme, mais aussi doté d’un volontarisme et d’une énergie forçant l’admiration.
Comme le souligne le titre de ce livre, c’est le mépris qui caractérise au premier chef l’attitude de Nicolas Sarkozy à l’égard des diplomates. Le ton avait été donné dès 2007, si l’on en croit les propos rapportés par Yasmina Reza : « J’ai un mépris profond pour tous ces types, ce sont des lâches », aurait glissé le candidat à son historiographe. L’ouvrage contient quelques anecdotes savoureuses sur les coups de sang du président à l’égard de tel ou tel de ses collaborateurs.
Méprisant les diplomates, Nicolas Sarkozy, sitôt élu, fait en sorte que la politique étrangère de la France soit pilotée depuis l’Élysée par des non-diplomates. C’est Claude Guéant qui gère la libération des infirmières bulgares de Libye et les relations avec les régimes policiers de Syrie ou de Libye, où ses fonctions antérieures lui avaient ménagé quelques contacts. C’est Henri Guaino qui porte le projet d’Union pour la Méditerranée (UPM) en dépit de l’hostilité des pays européens et des divisions persistantes des pays du Sud de la Méditerranée. Mais les années passant, les logiques bureaucratiques rétablissent l’équilibre. La cellule diplomatique de l’Élysée, exclusivement composée de diplomates de carrière, reprend la main. Le départ de Claude Guéant et l’arrivée d’Alain Juppé au Quai ont achevé de restaurer l’influence du Quai d’Orsay.
Désireux de rompre avec la politique étrangère de son prédécesseur, Nicolas Sarkozy avait promis la rupture. Rupture avec une Realpolitik trop accommodante à l’égard de la Russie et de la Chine. Rupture avec une politique proarabe et antiaméricaine qui avait conduit la France à s’opposer avec fougue à la guerre en Irak. Rupture avec la Françafrique et ses pratiques opaques. Gilles Delafon montre que cette triple rupture n’a pas eu lieu. La défense des Droits de l’homme a vite été sacrifiée sur l’autel des relations avec la Russie et la Chine. Le proaméricanisme décomplexé affiché par Nicolas Sarkozy n’a pas résisté au départ de George W. Bush de la Maison-Blanche, tandis que le soutien à la candidature de la Palestine à l’UNESCO sonne le glas du rapprochement franco-israélien. Enfin, l’influence de Robert Bourgi et le limogeage rapide de Jean-Marie Bockel témoignent des difficultés de rompre avec les pratiques occultes des réseaux Foccart. Si rupture il y eut, elle fut plus dans la forme que dans le fond.
Gilles Delafon et les diplomates qu’il a interrogés dénoncent une « diplomatie de l’émotion » dictée par l’obsession des « coups ». L’affaire de l’Arche de Zoé au Tchad, la libération d’Ingrid Betancourt en Colombie, l’incarcération de Florence Cassez au Mexique sont autant de faits divers érigés en affaires d’État. Les victoires au forceps que le bouillant président obtient parfois sont acquises au mépris de la susceptibilité des partenaires de la France, et au risque de la détérioration durable des relations avec eux. Tel est le revers de l’énergie et du volontarisme que tous s’accordent à reconnaître à Nicolas Sarkozy. Obsédé par les résultats du court terme, ignorant du passé, méprisant du futur, le président aura été, selon l’expression de Gilles Delafon, « meilleur pompier qu’architecte ». Son hypermédiatisation, sa volonté de « voler la lumière » auront aggravé la réputation d’arrogance de la France. Depuis le départ de Nicolas Sarkozy de l’Élysée, l’ouvrage de Gilles Delafon s’est pourtant quelque peu démonétisé. La page de la présidence Sarkozy, de ses excès, de ses fulgurances, est tournée. Le temps viendra bientôt d’un bilan dépassionné…

Yves Gounin

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