Cette recension est issue de Politique étrangère 2/2013. Denis Bauchard propose une analyse de l’ouvrage de Marc Lynch, The Arab Uprising. The Unfinished Revolutions of The New Middle East (New York, NY, Public Affairs, 2012, 288 pages).

00-Lynch-9781610392358Cette publication mérite d’autant plus d’être remarquée que les spécialistes américains ont été peu prolixes sur le sujet du « soulèvement arabe ».
L’auteur rappelle que les vagues de contestation qui se sont développées à partir du début de l’année 2011 n’étaient pas sans précédents, faisant allusion aux turbulences qui se sont produites dans le monde arabe d’abord dans la décennie 1954-1963, puis à partir des années 1980, de même que dans la première décennie de ce millénaire. Ce qu’il nomme le « facteur générationnel » donne cependant aux mouvements de mécontentement perceptibles depuis de nombreuses années une efficacité redoutable. Par le jeu des technologies de l’information, un processus d’unification s’est développé pour déboucher sur un « espace politique arabe ». Cependant, après la vague initiale, les processus révolutionnaires se sont fortement diversifiés. L’onde de choc qui, partie de Tunisie et d’Égypte, a touché pratiquement tous les pays arabes, a connu des vagues successives. Aux deux cas précités, où les autocrates au pouvoir sont partis rapidement à l’issue de mouvements pacifiques, ont succédé des révolutions qui se sont déroulées selon des scénarios différenciés et ont parfois débouché sur une guerre civile. Relativement courte en Libye, elle se prolonge en Syrie, sans que son terme soit prévisible. L’activist class n’a pas pu, ou pas voulu, s’engager, laissant le champ libre aux mouvements islamistes.
La politique américaine est largement évoquée. Celle du président Bush en termes particulièrement critiques : Marc Lynch juge que la promotion de la démocratie par la force telle que pratiquée par l’administration Bush ne pouvait que conduire à un échec. S’agissant du président Obama, son jugement est plutôt bienveillant. Il souligne l’embarras de l’administration devant ces soulèvements qu’elle n’avait pas prévus et qui l’obligent à faire le grand écart entre le soutien aux aspirations démocratiques et les préoccupations de ses principaux alliés, Arabie Saoudite et Israël, qui y sont hostiles. Il estime que le président, lors de son discours au département d’État du 19 mars 2011, a pris acte que « les mouvements de protestation arabes n’ont pas besoin ni ne veulent du leadership de l’Amérique » et que, si globalement Obama a plutôt bien géré une situation fluide, il n’a pas réussi à rétablir la crédibilité des États-Unis dans cette zone. En effet, ces mouvements menacent les fondations mêmes d’un ordre régional qui avait été soutenu et organisé par les États-Unis. L’auteur rappelle que la question palestinienne demeure un problème fondamental et que les bouleversements actuels vont accentuer la pression en faveur d’une solution juste. Face à cette situation, il recommande un changement fondamental de la politique américaine. Les États-Unis devraient cesser de pratiquer le double standard, repenser « sérieusement » leurs relations avec Israël, reconnaître le lien « fondamental » qui unit tous les problèmes de la région et prendre acte des limites de leur capacité à contrôler le Moyen-Orient. Vaste programme ! La récente visite du président Obama en Israël laisse penser que ces orientations ne seront guère prises en compte.
Cet ouvrage lucide et sans complaisance constitue certainement une référence sur les soulèvements arabes vus des États-Unis.

Denis Bauchard

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