Cette recension est issue de Politique étrangère 2/2013. Yves Gounin propose une analyse de l’ouvrage de Bernard Stirn, Vers un droit public européen (Paris, Montchrestien, 2012, 160 pages).

00-Stirn-9782707617736Bernard Stirn est une grande figure de la République. Conseiller d’État, il a marqué de son empreinte, comme commissaire du gouvernement d’abord, comme président de la section du contentieux ensuite, les évolutions de la haute juridiction administrative ; professeur associé à Sciences Po Paris, il a formé plusieurs générations d’étudiants au droit administratif.
Le temps n’est plus où le Conseil d’État faisait figure de dernier bastion irréductible de la souveraineté nationale face à Bruxelles. Depuis la décision Nicolo du 20 octobre 1989, il reconnaît la primauté du traité sur la loi. Sa jurisprudence ultérieure témoigne du souci de donner au droit communautaire une place originale, à la charnière du droit international et du droit interne. Renversant la jurisprudence Cohn-Bendit de 1978, sa décision Mme Perreux du 30 octobre 2009 ouvre la possibilité à tout justiciable d’invoquer les dispositions d’une directive, même non transposée, dès lors que les délais de transposition ont expiré et que les dispositions invoquées sont précises et inconditionnelles. Plus audacieux encore : rompant avec le principe d’irresponsabilité des décisions définitives de justice, la décision Gestas du 18 juin 2008 admet l’engagement de la responsabilité de l’État dans le cas d’une méconnaissance manifeste par le juge du droit de l’Union.
On se tromperait pourtant en décrivant ce moment comme celui, joué d’avance, d’un inexorable renoncement du juge national face au droit communautaire. À la « guerre des juges », le président Stirn préfère le « dialogue des juges ». Un dialogue nourri par la technique du renvoi préjudiciel, qui permet à un tribunal national d’interroger la Cour de Luxembourg sur l’interprétation à donner à une norme communautaire, dès lors qu’elle gouverne l’issue du litige qui lui est soumis. Le dialogue n’est pas à sens unique. B. Stirn montre comment les juges de Luxembourg se sont inspirés des droits nationaux pour forger leurs principes directeurs (égalité et non-discrimination, proportionnalité, subsidiarité, sécurité juridique).
Le droit public européen ne se résume pas au droit de l’Union. C’est le second intérêt de l’ouvrage de B. Stirn de souligner combien le droit de la Convention européenne des Droits de l’homme imprègne les droits nationaux. Par exemple, c’est sous l’influence de la Cour de Strasbourg que la France a dû adopter une législation encadrant les écoutes téléphoniques ou réformer son régime de garde à vue.
Le droit public européen en cours de constitution se situe donc à la confluence de trois droits : le droit de l’Union, le droit de la Convention européenne des Droits de l’homme et les droits nationaux. Il n’y a pas entre eux de hiérarchie stricte, mais une interpénétration, nourrie « de fertilisation croisée, de fécondation réciproque ». Le grand arrêt du Conseil d’État Arcelor du 8 février 2007 illustre à l’envi le raffinement nécessaire à la combinaison des contrôles de constitutionnalité et de conventionalité.
Il faut se départir de l’idée fallacieuse d’un droit européen « au-dessus », qui écraserait des droits nationaux « en dessous ». Dépassant la conception kelsénienne d’une hiérarchie pyramidale des normes, il faut raisonner en termes de « pluralisme ordonné », selon l’expression de Mireille Delmas-Marty reprise par l’auteur.

Yves Gounin

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