Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n°2/2017). Isabelle Saint-Mézard propose une analyse de l’ouvrage de Rohan Mukherjee et Anthony Yazaki, Poised for Partnership: Deepening India-Japan Relations in the Asian Century (Oxford University Press, 2016, 304 pages).

Poised for Partnership

Jusqu’à ce jour, le rapprochement indo-japonais a intéressé le monde des think tanks et des médias, mais guère celui de l’université. L’intérêt de cet ouvrage d’une dizaine de contributions d’auteurs indiens et japonais est de présenter une analyse approfondie des liens qui se nouent actuellement entre les deux États. À ce titre, un thème récurrent le parcourt : rattraper le temps perdu et les occasions de coopération manquées. La plupart des chapitres rappellent que les liens bilatéraux, très cordiaux durant les années 1950, se sont distendus pendant la guerre froide et sont restés entravés jusqu’aux années 1990 en raison du désaccord sur le programme nucléaire militaire indien. Le rapprochement entre les deux États n’a commencé qu’en 2000, lors de la visite à New Delhi du Premier ministre Mori, mais la relation bilatérale demeure aujourd’hui en deçà de son potentiel.

Pour expliquer le renforcement des relations entre Tokyo et New Delhi, les auteurs évoquent le contexte géo­politique, marqué par l’intransigeance de la Chine dans les disputes territoriales qui l’opposent à ses voisins. Ils notent aussi l’influence favorable du rapprochement indo-américain sur les dirigeants à Tokyo. Mais Mukherjee et Yazaki affirment que ce sont avant tout les « idéaux démocratiques partagés » qui fondent la nouvelle entente. Plus encore, ce sont les changements sur la scène politique intérieure nippone et l’arrivée de dirigeants « néoconservateurs » tels Junichiro Koizumi et surtout Shinzo Abe, qui ont le plus œuvré en faveur du rapprochement avec l’Inde. De fait, ces dirigeants se caractérisent par leur désir « de voir le Japon jouer un rôle plus actif en faveur de la sécurité en Asie », et la conviction qu’« en vertu de leurs idéaux démocratiques partagés, l’Inde et le Japon pourraient être de proches partenaires ».

Cohérentes, les contributions suivent une même approche méthodologique : analyser les intérêts et stratégies de chaque pays dans un secteur donné, pour ensuite évaluer le potentiel de coopération bilatérale. L’analyse suit quatre grands secteurs : économie, énergie, sécurité et gouvernance mondiale. Les points de vue japonais et indien sont à chaque fois présentés avec diverses recommandations. Par ailleurs, l’ouvrage se démarque par sa tonalité réaliste, voire sceptique, sur le rapprochement en cours, et insiste sur les multiples contraintes qui continuent d’entraver l’approfondissement de la relation. Il rappelle à diverses reprises que les facteurs de malentendus et d’incompréhension demeurent nombreux entre Inde et Japon, tant leurs systèmes socioculturels sont différents, les interactions entre leurs sociétés limitées et leurs modes de fonctionnement bureaucratique spécifiques.

Il est un peu frustrant que l’ouvrage s’arrête au seuil d’une phase qu’il qualifie lui-même de très prometteuse, marquée par l’arrivée au pouvoir de Narendra Modi, personnalité très proche de Shinzo Abe. L’ouvrage n’évoque donc pas l’accord de coopération nucléaire de la fin 2016. Or ce développement ne signale pas seulement la levée de l’un des obstacles les plus importants de la relation, il montre aussi que par leur poigne et leur volonté politique, les dirigeants aujourd’hui au pouvoir à Tokyo et à New Delhi entendent surmonter les facteurs structurels les plus contraignants pour forcer la construction d’une relation stratégique.

Isabelle Saint-Mézard

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