Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n°2/2017). Matthieu Cimino propose une analyse de l’ouvrage de Erminia Chiara Calabrese , Militer au Hezbollah. Ethnographie d’un engagement dans la banlieue sud de Beyrouth (Khartala/Ifpo, 2016, 296 pages).

Militer au Hezbollah

Depuis plusieurs années, le Hezbollah catalyse une inflation de travaux de qualités inégales. Le sujet est rendu très attractif par sa centralité (le parti étant depuis 2011 lourdement impliqué en Syrie) ainsi que par le développement massif et éclaté des security studies, engagées autour des problématiques de terrorisme. L’autre raison tient à la difficulté d’accès aux sources : le Hezbollah, comme toute organisation militaire ou paramilitaire, assure sa pérennité par la protection de sa structure opérationnelle et militante, pour l’essentiel par le silence. Seul un nombre limité de chercheurs (à l’instar de Norton, Mervin ou Daher) a donc pu produire des ouvrages de qualité, issus de travaux de terrain, appuyés par une méthodologie rigoureuse et la maîtrise de l’arabe.

Apport considérable au corpus académique sur le parti chiite, la saisis­sante monographie de Calabrese s’inscrit dans cette filiation. Le livre est construit à partir de sources primaires, issues de multiples entretiens semi-directifs menés depuis 2005 avec des militants et sympathisants du Hezbollah ; un tel accès à l’épine dorsale activiste du parti, exceptionnel en soi, atteste d’une recherche de fond, menée sur le temps long, dans un environnement hermétique. À travers ces entretiens, l’auteur explore les modalités de l’engagement, tout en proposant une sociohistoire passionnante du Hezbollah, approchée à travers les représentations de ceux qui en constituent l’avant-garde. Par cette somme prosopographique, Calabrese déconstruit par ailleurs l’imaginaire politique entourant ces affiliés, invariablement présentés comme pauvres, très religieux et marqués par une expérience radicale du chiisme.

En sus, ce travail s’appuie sur un corpus théorique très récent, dont les réflexions d’Olivier Fillieule sur les processus d’engagement et d’action militante « par le bas », privilégiant l’approche individuelle et évitant l’écueil d’une perspective monoscalaire centrée sur les collectifs – bien que le livre veille à ne pas exagérer la centralité du premier ni à négliger l’influence des seconds. La méthodologie employée assure une infrastructure solide à cette monographie, organisée en six chapitres qui explorent la construction du réseau militant du Hezbollah, les modes différentiels de socialisation des jeunes du parti, la formation militante per se, les registres de mobilisation employés par le parti, le rôle et la charge symbolique du leader, Hassan Nasrallah, et enfin la symbo­logie de la résistance.

Si l’ensemble est dense et innovant, on retient d’abord la précision empirique avec laquelle sont décrits les mécanismes de recrutement du parti, ses procédures de sécurité opérationnelle ainsi que le cycle de façonnage de l’« identité partisane » de ses membres. Fort peu critiquable, cet ouvrage trouve peut-être une limite : ne pas questionner l’hubris comme mécanisme d’engagement des combattants. Au-delà des éléments constitutifs du milieu sociopolitique des interviewés (héritage familial, environnement éducatif…), on s’étonne de ne pas trouver chez eux de références à la quête d’un idéal de soi, ou au besoin de recherche personnelle et collective d’un ennemi. Cet élément mis à part, Militer au Hezbollah s’inscrit en référence des rares travaux monumentaux écrits sur le parti libanais.

Matthieu Cimino

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