Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère (n°3/2017). Jean-Yves Haine propose une analyse de l’ouvrage de Seth A. Johnston, How NATO Adapts: Strategy and Organization in the Atlantic Alliance since 1950 (Johns Hopkins University Press, 2016, 272 p.).

L’ouvrage de Seth Johnston se focalise sur la dimension institutionnelle de l’Alliance atlantique. Son hypothèse initiale, basée sur la théorie institutionnelle, et en particulier sa version dite historique de Peter Hall, estime que ces institutions ont joué un rôle important dans l’évolution et l’adaptation de l’Alliance. Même s’il n’est pas question d’ignorer le poids des intérêts nationaux, la force de la Realpolitik ou les nécessités imposées par les menaces stratégiques.

Pour étayer sa thèse, l’auteur définit tout d’abord des moments critiques, des périodes carrefours où la force de la Realpolitik s’efface au profit des volontés politiques, où les choix l’emportent sur la nécessité. Puis il met en lumière les différents moyens utilisés par l’institution pour gagner de l’influence : la définition de l’agenda, le choix et le lieu des réunions, le partage de l’information, la maîtrise du consensus, la sélection des experts et l’orientation de leurs études, le blocage ou ­l’obstruction bureaucratique… : autant d’outils qui permettent aux officiels d’orienter l’avenir, la trajectoire et la stratégie de l’Alliance.

L’auteur illustre cette influence de plusieurs cas historiques. Ainsi la guerre de Corée entraîna-t-elle une militarisation de l’Alliance, qui devait passer par le réarmement allemand. Celui-ci n’était pas nécessairement « atlantique » ; la voie européenne fut explorée, du plan Pleven à l’échec de la CED. Ces années furent mises à profit par les officiels de l’OTAN, notamment Charles Spofford au sein du Conseil, pour préparer l’Alliance à accueillir une Allemagne remilitarisée, jeter les bases d’une intégration militaire et d’une administration civile, et modifier sa stratégie dans le sens d’une défense de l’avant. Toutefois, entre le vœu exprimé par le secrétaire d’État Acheson, en septembre 1950, de « ­donner des dents » à l’Alliance, et le résultat de 1954, l’influence de l’institution resta secondaire.

La fin de la guerre froide fut une autre étape cruciale dans ­l’évolution de l’Alliance. Le règlement de la confrontation Est-Ouest offrait de ­nombreuses options diplomatiques: une sécurité européenne intégrée à l’UE, une Allemagne réunifiée mais neutre, une architecture de type OSCE renforcée, une Alliance politique avec un retrait militaire américain… Toutes ces voies furent négligées au profit de la préférence américaine pour le maintien de l’Alliance avec une Allemagne unie en son sein. Tel fut le choix fondamental opéré par l’administration Bush, telle fut la configuration de l’Alliance au lendemain de la guerre froide. Les acteurs institutionnels n’ont guère modifié ce choix.

Le grand mérite de cet ouvrage est de souligner le rôle des officiels dans l’adaptation de l’OTAN, du plan Spofford au rapport Harmel, des bons offices de l’ambassadeur de Staercke à l’influence de Solana. Reste que les nécessités de la géo­politique et la force des intérêts nationaux demeurent le guide essentiel pour comprendre l’histoire – certes exceptionnellement longue par rapport à l’âge moyen et la mortalité des alliances militaires – de l’Alliance atlantique. L’autonomie et l’influence de l’organisation existent mais restent faibles par rapport à la volonté des États, notamment le plus puissant d’entre eux, les États-Unis. L’administration Trump risque d’en apporter une illustration significative.

Jean-Yves Haine

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