Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n° 4/2017). Olivier Louis propose une analyse de l’ouvrage de Vijay Joshi, India’s Long Road: The Search for Prosperity (Oxford University Press, 2017, 360 pages).

Voici une excellente analyse de l’histoire économique de l’Inde depuis son indépendance. L’auteur explique clairement pourquoi jusqu’à 1980 la croissance annuelle indienne est restée bloquée autour de 3,5 % – à peine supérieure à l’augmentation de la population –, et pourquoi, à partir de cette date, elle s’est accélérée : entre 1980 et 2000 autour de 5,5 % annuellement, entre 2000 et 2010 de 7,3 %, et entre 2010 et 2014 de 6,1 %. Depuis lors, la croissance reste élevée mais irrégulière : elle a dépassé 9 % en 2015 mais est retombée à moins de 6 % pour 2017. Compte tenu de l’accroissement de la population, du nombre de pauvres (entre 269 et 360 millions selon les modes de calcul en 2011), du taux très élevé d’analphabétisme (37 % de la population de plus de 15 ans), de l’importance de la mortalité infantile (48 décès sur 1 000 naissances), et d’une espérance de vie de seulement 63 ans, Vijay Joshi estime que l’Inde a besoin d’une croissance annuelle de 7 à 9 % pendant les 30 prochaines années (6 à 8 % de croissance par habitant) pour espérer atteindre une prospérité comparable à celle des pays européens les moins prospères comme le Portugal et la Grèce.

Une telle croissance annuelle moyenne est-elle possible, alors que seuls trois pays dans le monde – Chine, Corée du Sud et Taïwan – ont, jusqu’à maintenant, réussi cette performance ? L’Inde bénéficie de facteurs favorables : une population en âge de travailler très nombreuse et en croissance, une classe entrepreneuriale qui a prouvé sa capacité à saisir les opportunités offertes depuis les réformes de 1980-1990, une capacité d’investissement par rapport au PIB très significative (33 % à l’heure actuelle), une classe moyenne encore très peu nombreuse (autour de 100 millions de personnes selon l’auteur), mais qui ne cessera de s’accroître à un rythme soutenu avec la croissance. Mais les difficultés à surmonter sont considérables : un État central faible et corrompu ; un environnement politique extérieur loin d’être stabilisé (Chine, Pakistan) ; des services publics, en particulier l’éducation primaire et secondaire et la santé publique dans un état catastrophique ; des infrastructures (aéroports, transports publics, routes, etc.) qui ne rattrapent que lentement leur immense retard.

Le programme des réformes à accomplir est impressionnant : assurer un environnement macro-­économique stable ; redéfinir les relations entre l’État central, les États fédérés, le secteur privé et le marché – dont l’auteur pense qu’elles sont largement dysfonction­nelles ; réformer profondément le secteur bancaire en privatisant les banques publiques saines et en fermant celles qui n’ont aucune chance de devenir profitables ; faire le même exercice pour les nombreuses entreprises publiques aujourd’hui dépendantes de subventions budgétaires ; et surtout revoir entièrement la fiscalité du pays, en supprimant les subventions aux biens de consommation pour les remplacer par un revenu universel qui permettrait de sortir de l’extrême pauvreté les populations qui la subissent. L’auteur doute que ces réformes aient des chances réalistes d’être entreprises, en particulier par le gouvernement de Narendra Modi dont il juge que les performances sont, pour le moment, « mixtes ».

La perspective la plus probable lui paraît donc celle d’une croissance « respectable » (de 5 à 6 %), mais insuffisante pour hisser le pays au niveau des pays développés.

Olivier Louis

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