Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°3/2018). Guilhem Penent propose une analyse de l’ouvrage de Lilach Gilady, The Price of Prestige: Conspicuous Consumption in International Relations (University of Chicago Press, 2018, 232 pages).

Depuis plusieurs années, un certain nombre d’internationalistes venus d’horizons théoriques variés (réalisme, constructivisme, etc.) travaillent à remettre au goût du jour la notion classique de prestige. Deux tendances se dessinent : ou les efforts visent trop haut et prétendent expliquer toutes les relations internationales (RI), ou ils visent trop bas et se révèlent n’être tout au mieux qu’un recueil d’anomalies et de curiosités. Le concept de prestige est difficile à opérationnaliser et à mesurer. Marginalisé par les théories dominantes en RI, il est aussi sous-théorisé, victime d’attributs à la fois compétitifs, hiérarchiques et sociaux qui le placent dans un entre-deux paradigmatique inconfortable. À cela, on ajoutera la réticence des acteurs à justifier leurs politiques par une référence explicite au prestige, impliquant de s’appuyer sur une méthodologie et des évaluations indirectes.

Cet ouvrage reprend à son compte ces interrogations, tout en proposant un cadre original et inhabituel en RI, inspiré par l’intérêt renouvelé dont les travaux sur la « consommation ostentatoire » et « l’effet Veblen » font l’objet dans le domaine des sciences économiques. L’objectif de l’auteur est en effet de développer une analyse des relations internationales fondée sur la consommation, dans laquelle le prestige est considéré comme une marchandise comme les autres, que les États peuvent choisir ou non de mettre dans leurs paniers.

L’ouvrage, qui fait son miel de la fausse dichotomie entre rationalité et logiques symboliques, se concentre ainsi sur la notion de « biens Veblen », ces biens de nature positionnelle pour lesquels les acteurs sont prêts à payer plus cher dans l’espoir que cette dépense supplémentaire – le « prix du prestige » – leur permette de signaler publiquement leur statut social supérieur. Par ce biais, l’analyse explique de manière convaincante pourquoi certains pays choisissent d’investir dans l’acquisition de programmes de défense comparativement sous-optimaux (à l’image des porte-avions), se mobilisent en faveur d’activités pro-sociales en apparence davantage orientées par le souci de l’autre que le self-help, comme les opérations de maintien de la paix, ou encore développent, sous couvert de science, de coûteux et extravagants programmes spatiaux alors qu’ils pourraient allouer leurs ressources à d’autres activités moins onéreuses sur le plan économique et surtout plus efficaces sur le plan instrumental.

En appliquant à la politique internationale les leçons socio-économiques souvent oubliées de Thorstein Veblen – pour qui la crainte était que l’économie, en faisant l’impasse sur le social, n’en vienne à s’éloigner de la vie réelle et à perdre sa pertinence –, Gilady fait œuvre utile. À regarder les dynamiques actuelles de la hiérarchie internationale, cette entreprise qui s’appuie sur un travail de thèse soutenue en 2006, arrive en effet à point nommé pour confirmer combien le prestige constitue une force qui compte, et peut aider notre compréhension des enjeux de défense et de sécurité. D’autant que la critique constructive de la rationalité qui est la sienne suggère d’intéressantes pistes de travail, en particulier sur la dimension « stratégique » du prestige.

Guilhem Penent

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