Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°3/2018). Rémy Hémez propose une analyse de l’ouvrage de Patrick Maurus, Les trois Corées (Hémisphères Éditions, 2018, 192 pages).

Patrick Maurus est l’un des plus fins connaisseurs de la Corée en France. Il a voyagé à de nombreuses reprises en Corée du Nord et s’interroge dans cet ouvrage sur « la Corée », en étudiant ses trois divisions actuelles : Corée du Sud, du Nord, et chinoise, tout en éclairant leurs interactions.

Concernant la Corée du Sud, l’auteur met d’abord en relief sa formation à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il revient notamment sur la « cécité historique » du Sud sur la période d’occupation japonaise (non-dits quant à la collaboration, entre autres). Le « miracle » économique du pays est bien entendu évoqué : lorsque le général Park Chung-Hee arrive au pouvoir en 1961, son pays a un produit intérieur brut (PIB) équivalent à celui du Mali. Enfin, sont passées en revue les « cicatrices » de la Corée du Sud : du soulèvement de Gwangju avec sa répression sanglante (1980) au désastre du naufrage du ferry Sewol (16 avril 2014).

Patrick Maurus déplace ensuite sa réflexion vers la Corée du Nord. Il souligne la difficulté à parler de ce pays : ce qui en est dit relève de « la fusion constante du récit et de la fiction, du fictif et du fictionnel ». La trajectoire économique du Nord est décrite : développement jusqu’aux années 1970, puis épuisement progressif dans des travaux improductifs. Les intempéries de 1995 mettent finalement le pays à genoux, mais il ne s’effondre pas et se mue en un gigantesque marché noir. Puis l’auteur explique ce qui a permis, selon lui, le rebond de la Corée du Nord avec, en particulier, une relative ouverture commerciale permettant la mise en place de « marchés libres ». Il insiste aussi sur une réforme institutionnelle, officialisée en mai 2016, qu’il estime majeure. Le régime est désormais tricéphale : Parti des travailleurs (une enveloppe vide), armée (rentrée dans ses casernes) et – nouveauté – un cabinet ministériel à la tête des ministères que Kim Jong-Un considérait comme irréformables. Ce cabinet est géré par des gens formés à l’étranger ou des professionnels.

Vient enfin une partie consacrée à la « troisième Corée » – la partie désormais chinoise de la Corée. Bien entendu, il n’y a actuellement que deux États coréens reconnus à l’Organisation des Nations unies. Mais au début de notre ère, le royaume coréen de Koguryo occupait le nord de la péninsule et une bonne moitié de la Mandchourie actuelle (provinces du Liaoning, du Jilin et du Heilongjiang). Aujourd’hui, une partie des deux millions de personnes qui constituent la minorité coréenne de Chine réside dans le district autonome de Yanbian. Ce dernier est pourtant dominé par les Hans, les Coréens ayant massivement émigré vers la Corée du Sud. Les dirigeants nord et sud-coréens n’évoquent jamais cette « troisième Corée », qui pourrait pourtant, selon l’auteur, jouer un rôle majeur pour le désenclavement de la péninsule, la normalisation des relations et le décollage économique du Nord. L’auteur insiste sur le projet de gazoduc Sibérie-Corée du Sud, qu’il juge susceptible d’œuvrer à un rapprochement de facto, et de bouleverser la géopolitique mondiale.

Dans ce livre érudit, Patrick Maurus montre sa connaissance intérieure des « trois Corées ». Même si certains passages peuvent être discutés, cet ouvrage est important pour tous ceux qui s’intéressent à la Corée et à l’Asie du Nord-Est : il offre une voix différente et a le mérite d’ébranler certains clichés, tout en participant à la compréhension d’une situation complexe.

Rémy Hémez

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