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L’article « À chacun sa Corée » a été écrit anonymement dans le numéro 5-6/1950 de Politique étrangère.

Depuis le 25 juin 1950, le gouvernement chinois était intervenu, de Pékin, dans l’affaire coréenne avec les moyens de sa diplomatie et de sa propagande : l’invasion de la Corée du Sud par les Coréens du Nord lui offrait l’occasion d’afficher sa sympathie pour le pays entier. La Chine n’y exerça- t-elle pas une suzeraineté nominale jusqu’au début du présent siècle ?

Le gouvernement Mao Tse Toung lie l’affaire de Corée à son entrée dans l’Organisation des Nations Unies, à sa participation au Conseil de sécurité. Il se dit donc ami des Coréens. Mais il convient de rappeler que les Coréens établis en Mandchourie — terre chinoise — s’entendirent mal avec les Chinois. C’étaient les Japonais qui avaient poussé des Coréens (par dizaines de milliers), dès 1 925, à s’expatrier en Mandchourie : ouvriers agricoles qui rivalisaient avec les fermiers chinois dans la frugalité ou la misère. Il y en avait au moins un million, dès 1931. Dans le district de Chientao, on comptait trois Coréens pour un Chinois. Les incidents qui éclatèrent entre fermiers chinois et coréens pendant l’été 1931 furent provoqués peut-être, et certainement exploités, par les Japonais, qui se portèrent alors au secours de leurs « ressortissants » : prétexte saisi parmi d’autres pour justifier l’occupation de la Mandchourie désirée. Les circonstances actuelles reposent des questions capitales : comment se comporteront, en Mandchourie du Sud, les paysans coréens et chinois engagés dans de mortelles concurrences ? Et quels sont les vrais, les profonds sentiments des Coréens et des Chinois à l’égard les uns des autres ?

Le Japon prend position

Le Japon ne peut se désintéresser de la Corée. Dans l’impossibilité d’intervenir militairement, il ne saurait négliger un pays qu’il convoita toujours, à travers l’histoire ; pour lequel il combattit souvent (1870-1910) ; qu’il annexa purement et simplement (1910). Sans entrer dans les détails d’une occupation de huit lustres, on mentionnera les investissements et les entreprises japonais. Si le réseau routier demeurait insuffisant, les chemins de fer stratégiques construits par les Japonais indiquaient assez leur préoccupation : la Corée nourricière, grenier de riz de l’archipel, servait de passage vers la Mandchourie, dont les ressources minières et industrielles devenaient, d’année en année, plus nécessaires à l’armature nippone. Dans l’été 1950, le Japon allait-il rester rigoureusement neutre ou laisserait-il percer une préférence à l’égard d’un des blocs ? Le Livre blanc, publié le 19 août, exprime l’approbation du gouvernement japonais pour les efforts des Nations Unies en Corée. Le Livre blanc ajoute que le Japon y aide déjà, par son industrie, les forces américaines. En même temps, il réclame des moyens de défense plus importants que la police autorisée par le général MacArthur, qui était portée à 70 000 hommes au début des opérations. Enfin, M. Yoshida, président du Conseil, soulignait le fait que le Japon « ne peut pas plaire aux deux camps de la guerre froide ». Le Japon se souvient de la longue hostilité russo-japonaise ; il s’inquiète de ses besoins constants que peuvent satisfaire Corée et Mandchourie. Il penche — aujourd’hui — vers les États-Unis.

Glacis russe ou glacis japonais ?

De 1930 à 1940, le Japon avait voulu constituer simultanément : 1° un bloc économique (et monétaire, le bloc yen) Japon, Corée, Mandchourie, Chine ; 2° un système de glacis. La Corée, qui protégeait l’archipel, recevait la couverture du Man-tcheou-kouo (État de Mandchourie), lequel, à son tour, était gardé par le glacis mongol, qui, lui-même, était préservé par les provinces du Nord de la Chine. Inversement et symétriquement, l’URSS considère, en 1950, que la République de Mongolie, intégrée dans le système soviétique, a besoin de la couverture d’une Mandchourie industrielle et agricole, laquelle trouve sa protection dans une Corée braquée (selon certaine formule de l’époque napoléonienne) vers l’archipel japonais.

Si les Chinois font état de leur amitié « historique » pour les Coréens, les Russes, de leur côté, invoqueront des événements vieux d’un demi-siècle ; quand les Japonais se montraient trop agissants à la cour de Séoul, le roi-empereur de Corée se réfugiait (1896) à la légation tsariste et il y demeurait une année.

Autre motif de l’attention que portent à la Corée les régimes russes successifs, et plus particulièrement à des ports et à des points situés dans un secteur voisin de la frontière russo-coréenne : en 1938, les soldats japonais contestèrent des hauteurs tenues par les Russes, à proximité de ces frontières russo-mandchou-coréennes. Ces hauteurs commandent la baie de Possiet, les approchés de Vladivostok. On fut étonné que les Japonais, qui, à l’époque, menaient le jeu en Extrême-Orient, dussent battre en retraite. Les Russes, eux, avaient maintenu toutes leurs positions, affirmé victorieusement une puissance dont on avait douté. Or, au mois d’août 1950, un commando américain, puis des escadrilles américaines ont attaqué, bombardé un port coréen, à 60 kilomètres du champ de bataille de 1938. L’attention reste la même dans l’attaque et la défense aux exutoires des provinces maritimes soviétiques, si utiles aux Russes quand Vladivostok est encombré de glaces. Points névralgiques et épreuves de forces. La coïncidence n’est pas un hasard. Tout se tient ou tout se répète. Il n’y a de changé qu’un antagoniste dans la dispute du terrain.

Les parents pauvres

A la table de Corée, les Américains se sont assis, en juillet, parents pauvres. Ils avaient quelque peu oublié le traité de commerce et d’amitié signé en 1882 avec le royaume longtemps dénommé « ermite ». Depuis 1905, leurs relations commerciales y étaient insignifiantes et assez effacé le rôle de leurs missionnaires. Les États-Unis avaient accepté, en somme, la main de fer du Japon et ses succès économiques : moins par indifférence que par nécessité. Pourtant un Américain, averti des insuffisances et mollesses coréennes, avait écrit, en 1905, que le Japon devrait abandonner la prétention de traiter la Corée comme si elle était réellement un État souverain et indépendant. C’était donner une sorte de blanc-seing à la grande nation japonaise avec laquelle on souhaitait de s’accorder.

L’ONU n’est pas morte

L’ONU a montré le 28 juin qu’elle n’était pas morte. La majorité des Nations Unies se le démontrait a elle-même, en décidant l’intervention. Le secours accordé à la Corée du Sud, pour n’être encore que symbolique (les effectifs internationaux restent faibles jusque dans les prévisions), signifiait que se resserrait le faisceau de l’ONU. Deuxième preuve de vitalité de celle-ci : après six mois d’absence, le représentant de l’URSS allait reparaître sur la scène de Lake Success et assumer, le 1er août, la présidence du Conseil de sécurité. Sans doute sa participation n’était-elle pas destinée dans son esprit à fortifier l’ONU, mais à intervenir en jouant de la division de ses membres. On sait que la mission essentielle de l’ONU est de préserver la paix générale et que, dans sa session perpétuelle, elle s’efforce de réduire les conflits naissants par la recherche commune des compromis. Mais il lui faut la collaboration de toutes les nations et, d’abord, des plus grandes. Que l’une de ces dernières vienne à se retirer, l’ONU, insensiblement, se transforme en coalition. Les risques d’une coalition qui se reformait autour des États-Unis suffisaient à motiver la rentrée des Russes. Le président Truman, cependant, disait le 19 juillet : « Le monde libre a rendu évident, par le canal de l’ONU, que l’agression illégale se heurtera à la force… Si l’on n’avait pas répondu à ce défi, l’ONU aurait perdu toute espèce d’efficacité. »

Mais l’ONU — entité juridique, faisceau de forces, de volontés ou de velléités — connaît en son sein des tendances divergentes. On pouvait distinguer, grosso modo, trois tendances : groupés autour des États-Unis, les purs ; les satellites de l’URSS ; les « troisième force », prêts à s’entremettre et dont le pandit Nehru prenait la tête.

Leçons de l’été 1950

On n’a rien dit encore des opérations. Il faut avouer qu’elles échappent à toute critique qui se veut de caractère objectif ou historique. Malgré l’abondance des dépêches et des reportages publiés par les presses, on manque de précisions : nombre et formation des armées coréennes du Nord ; qualité, provenance de leur matériel. L’armée coréenne du Sud avait paru s’évaporer ; on avait déploré la faiblesse des contingents américains… A la vérité, un voile pudique est, le plus souvent, tendu sur les choses militaires par deux antagonistes qui veulent éviter les entanglements : constatation optimiste d’un grand prix.

Pourtant, les faits relatés, le soudain élargissement de ce qui fut le « réduit » de Fousan, le débarquement des troupes américaines au nord, loin du « front », analogue à la manœuvre de Normandie en 1944 ; les arguments brandis, les procédures introduites permettent aux Russes et aux Chinois, aux Japonais et aux Américains, à l’entité ONU, aux Coréens eux-mêmes de tirer les leçons d’une campagne de cinq mois.

Les Russes ont appris qu’il est des frontières que ne peuvent violer leurs satellites sans que se rassemblent et se dressent en armes les Américains. Test inattendu, puisque les Américains avaient déclaré, cinq années durant, que là Corée n’était pas défendable et qu’ils n’avaient plus en Corée du Sud qu’un millier de fonctionnaires ; qu’au surplus l’armée du Sud était très inférieure à celle du Nord. De même, les Rouges chinois comprennent que, pour eux aussi, il est des frontières qu’ils ne franchiraient qu’au risque de provoquer : 1° les bombardements de leurs ports, de leurs villes ; bien plus : 2° la conflagration générale.

Pour les Japonais, l’heure d’une politique de bascule est dépassée (quitte à y revenir). Les forces aériennes de bases coréennes, distantes de moins de cinquante lieues des côtes nippones, représentent en effet une terreur suspendue sur les maisons de bois des immenses agglomérations japonaises.

Seuls les Américains «informés» n’étaient pas surpris par les très mauvaises conditions dans lesquelles s’ouvraient pour eux les hostilités ni par l’inévitable retraite du début : amener les troupes à pied d’œuvre, non pas seulement du Japon, mais de Californie ; assurer une traversée de 8 000 kilomètres, la besogne n’était pas mince. Mais l’opinion publique alarmée, secrètement humiliée, se retrempait dans une volonté collective de mobilisation industrielle et militaire. […]

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