Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère
(n° 4/2018)
. Gilles Dorronsoro propose une analyse de l’ouvrage de Thomas H. Johnson, Taliban Narratives: The Use and Power of Stories in the Afghanistan Conflict (Oxford University Press, 2018, 336 pages).

La défaite occidentale face aux talibans a suscité, et suscitera encore, nombre de récits et de tentatives d’explications. Le livre de Thomas H. Johnson sur la propagande de l’insurrection et des États-Unis dans la guerre est la vision d’un praticien, avec les avantages et les limites de l’exercice. Après un premier chapitre théorique, l’auteur analyse les formes de la propagande des talibans à partir de ses différents supports puis, malheureusement plus brièvement, celle de la coalition.

La richesse du livre est dans les matériaux recueillis lors de ses séjours en Afghanistan comme officier à Kandahar. On trouve ainsi des photos, la liste des publications et des sites de l’insurrection, des exemples de lettres de nuit, de longs extraits de textes traduits, des caricatures, etc. Ce matériau primaire satisfera tous ceux qui sont intéressés par une analyse détaillée du conflit.

Malheureusement, l’ouvrage souffre d’un défaut de rigueur gênant pour la compréhension du conflit. On passera sur le premier chapitre, patchwork de théorie sans grand intérêt pour le sujet. Il est plus problématique que l’auteur relaie des informations fausses, ou très douteuses. Par exemple, les talibans n’ont jamais annoncé qu’ils feraient revenir le roi Zaher (je peux en témoigner personnellement ayant fait du terrain à l’époque au sud de Kaboul). De même, les talibans, contrairement à ce que dit l’auteur, n’ont pas basé leur gouvernement sur des local customs, et ne rejettent en rien le soufisme (même les salafistes reconnaissent d’ailleurs une dimension soufie minimale à l’islam), mais ils sont réticents à certaines pratiques populaires hétérodoxes. Enfin, écrire que les leaders talibans ne connaissent pas « the basic understanding of islam » est simplement faux. Beaucoup de leurs cadres les plus importants sont issus de la Haqqanniya, une madrasa déobandie importante du Pakistan. De plus, tous les juges talibans sont des oulémas, ce qui est contradictoire avec la proposition de l’auteur.

Par ailleurs, ce dernier explique à raison que le mouvement taliban est capable d’organiser une propagande cohérente, solide et réactive. Pourtant, il soutient de façon contradictoire que les talibans sont un mouvement décentralisé et annonce qu’ils se seraient séparés en deux factions (ce qui est faux). Le recul accéléré du gouvernement depuis le désengagement occidental, et dernièrement la prise de la ville de Ghazni, montrent que les talibans ne sont pas paralysés par les conflits internes qu’il décrit. En outre, l’auteur décrit le Hezb-i islami comme étant aujourd’hui un des principaux groupes insurgés en Afghanistan, ce qui n’a jamais été vrai depuis 2001 et n’a plus de sens puisque le groupe s’est désormais rallié.

Si l’auteur montre peu de rigueur dans son traitement de l’insurrection, le chapitre de présentation – fort critique – des opérations de propagande de l’armée américaine est particulièrement riche. Il y souligne par exemple le rôle pas toujours très positif des Afghans de retour au pays, qui ne connaissent plus leur patrie mais conseillent les officiers américains. De même, les erreurs américaines sont minutieusement relevées – par exemple cette photo de famille avec femmes dévoilées sur un tract de l’armée américaine. Enfin, l’abus d’acronymes et de bullet points, peu surprenant pour un officier américain, rend la lecture parfois un peu laborieuse.

Gilles Dorronsoro

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