Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère
(n° 4/2018)
. Laurence Nardon, responsable du Programme Amérique du Nord de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Maya Kandel, Les États-Unis et le monde de George Washington à Donald Trump (Perrin, 2018, 256 pages).

D’une lecture agréable, cet ouvrage est un excellent résumé de la politique étrangère américaine depuis 1776, et un prétexte à une relecture de cette politique sous l’angle de
l’« exceptionnalisme » américain.

Même si commerçants et agriculteurs ont aussi joué un rôle dans la colonisation de l’Amérique, les colonies religieuses protestantes ont imposé le récit national d’une élection divine des États-Unis, porteurs du Bien dans le monde. Ils ont dès lors accepté la mission d’y porter la démocratie et les droits de l’homme.

L’auteur s’attache à démontrer que les États-Unis n’ont jamais été isolationnistes. Le fameux discours d’adieu de George Washington exhortant la jeune république à rester hors des affaires du monde, doit être pris comme un conseil de patience : solidement établie, elle pourra mener une politique étrangère. D’où l’effacement du XIXe siècle. Autre preuve que les États-Unis n’ont pas été isolationnistes : leur expansion territoriale face aux tribus amérindiennes et au Mexique.

Le Congrès – les électeurs – pèse aussi. La guerre contre l’Espagne en 1898 à propos de Cuba ouvre la possibilité pour les États-Unis de devenir une puissance coloniale. Les Philippines, Porto-Rico, Guam et Panama sont également concernés. Or, l’octroi de la nationalité américaine, qui va de soi lorsque des territoires continentaux deviennent des États (sauf pour les Noirs et les Amérindiens), inquiète l’opinion lorsqu’il s’agit de terres peuplées de non-WASP. Dès lors, le Congrès développe un colonialisme principalement économique.

L’activisme idéaliste du président Wilson est suivi d’un repli entre 1920 et 1940. Les Américains sont déçus par l’attitude des Européens après la Grande Guerre : le Congrès est alors protectionniste et anti-immigration. Ces réticences sont balayées dès 1941, quand le magnat de la presse Henry Luce appelle à l’avènement d’un « siècle américain », dont les principes sont énoncés dans la Charte de l’Atlantique en 1942. Le pessimisme de penseurs tel Reinhold Niebuhr est oublié dans la période d’« über-exceptionnalisme » qui marque l’après-guerre.

Vietnam, Watergate, premier choc pétrolier : les crises des années 1970 donnent un coup d’arrêt au triomphalisme américain, sur fond de réalignement idéologique. Un courant contestataire et pacifiste divise le Parti démocrate, considéré comme faible en politique étrangère à partir de Jimmy Carter. La droite chrétienne s’impose au Parti républicain, qui devient le parti fort et martial, porteur d’un regain d’exceptionnalisme sous la présidence Reagan.

Les années 1991-1992 semblent annoncer l’avènement de la Pax americana célébrée par Francis Fukuyama. À la mondialisation démocratique et économique s’ajoute l’adoption du principe de « responsabilité de protéger » de l’Organisation des Nations unies (ONU) en 2005. Mais ce moment de grâce ne dure pas.

Pour éviter un véto russe à l’ONU, les États-Unis passent par l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) pour intervenir au Kosovo en 1999. C’est la fin de l’espoir d’un monde réunifié. Le doute se réinstalle aux États-Unis, dont la mission originelle a été pervertie par l’individualisme et la rapacité. Sommes-nous sortis de ce moment ? Barack Obama, Donald Trump, mais aussi Ted Cruz et Bernie Sanders doutent du rôle de modèle universel de la puissance américaine. La Chine et la Russie sont remises en jeu. L’ouvrage se clôt donc sur une note pessimiste.

Laurence Nardon

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