Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n° 2/2019). Rémy Hémez propose une analyse de l’ouvrage de Austin Carson, Secret Wars: Covert Conflicts in International Politics (Princeton University Press, 2018, 344 pages).

Austin Carson, professeur assistant de science politique à l’université de Chicago, conduit une analyse systématique de la manière dont les grandes puissances participent secrètement à des guerres. S’appuyant notamment sur sa thèse de 2013, Secrecy, Acknowledgement, and War Escalation: A Study in Covert Competition, il met en avant un schéma récurrent de comportement depuis 1936, et le théorise dans deux premiers chapitres solides – peut-être trop académiques.

Pour l’auteur, les changements politiques et technologiques auraient rendu les conflits majeurs totalement improductifs pour les États, d’où une préoccupation permanente pour la limitation des guerres. Cette préoccupation constituerait la première motivation des interventions secrètes – lorsqu’une puissance extérieure n’admet pas officiellement son implication dans un conflit, et fournit discrètement de l’aide à un belligérant –, mais aussi de la « connivence » éventuelle d’une puissance adverse disposant de renseignements sur cette intervention « secrète » sans pour autant qu’elle les rende publics. Les adversaires coopèrent ainsi de façon tacite pour contrôler l’escalade.

Ce schéma de secret et de connivence répond aussi à la problématique, en interne, de la gestion des va-t-en-guerre et, en externe, à celle des difficultés de communication et de compréhension entre puissances. Cacher une intervention réduit la portée des réactions des bellicistes. Mais puisque cette intervention sera forcément détectée par les autres grandes puissances, elle donne à la fois un signal de résolution et de retenue. Pour Austin Carson, la « guerre secrète » se serait développée après la Première Guerre mondiale, qui a démontré le coût exorbitant d’un conflit majeur. De plus, certaines percées technologiques de la même époque, comme l’aviation ou les sous-marins, facilitent l’« anonymisation des forces armées ». La « guerre secrète » est testée dans l’entre-deux-guerres, entre autres avec l’intervention américaine dans la guerre civile russe.

L’auteur confronte sa théorie à quatre conflits : la guerre civile d’Espagne, la guerre de Corée, la guerre du Vietnam, et l’occupation soviétique de l’Afghanistan. Pour chaque cas d’étude, sont d’abord exposées les raisons qui ont poussé à choisir une intervention secrète ou déclarée. Dans un deuxième temps, on rend compte de ce qui a convaincu la grande puissance adverse de ne pas mettre au jour cette intervention, pourtant découverte. Des archives, dont certaines récemment déclassifiées, sont utilisées pour chaque exemple. Elles permettent notamment de jeter un regard neuf sur l’intervention aérienne de Moscou dans le conflit coréen, détectée dès 1951 par les Américains mais jamais révélée dans les médias à l’époque. Elle a pourtant concerné 40 000 à 70 000 militaires soviétiques déployés dans la péninsule sur toute la durée de la guerre, dont 26 000 rien qu’en 1951-1952. À la fin de l’ouvrage, et pour confronter sa théorie à un cas plus récent, l’auteur revient en quelques pages sur l’intervention secrète iranienne en Irak entre 2003 et 2011.

Austin Carson propose ici une grille d’analyse originale sur le côté secret des guerres modernes, offrant une perspective renouvelée sur la manière dont les responsables politiques des grandes puissances utilisent les interventions secrètes pour limiter les conflits.

Rémy Hémez

> > S’abonner à Politique étrangère < <