Cette double recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n° 2/2019). Eric-André Martin, conseiller auprès du directeur de l’Ifri et spécialiste des questions européennes, propose une analyse croisée des ouvrages de Robert Franck, Être ou ne pas être européen ? Les Britanniques et l’Europe du XVIIe siècle au Brexit (Belin, 2018, 264 pages) et de Jeremy Black, Britain and Europe: A Short History (Hurst, 2019, 256 pages).

Voici deux livres fort opportuns pour qui cherche à mieux comprendre la relation tumultueuse liant le Royaume-Uni à l’Europe. L’ouvrage de Robert Frank, professeur émérite à l’université de Paris 1, est un recueil de textes historiques couvrant la période de 1713 à nos jours. Il est articulé en trois chapitres, correspondant à trois temps : « Entre Empire et Europe » (1713-1904) ; « Les cycles d’engagement et de désengagement européen » (1904-1961) ; « L’Europe à l’anglaise, entrer, rester et sortir » (1961-2016). Chaque chapitre et chaque texte sont brièvement introduits, ce qui en fait un ouvrage à la lecture facile et agréable.

Jeremy Black, professeur à l’université d’Exeter, a écrit un ouvrage historique, qui brosse à grands traits l’histoire de la Grande-Bretagne. Cette approche, ancrée dans le temps long, est revendiquée par l’auteur qui revisite l’histoire britannique dans le contexte européen. Il décrit comment s’est construite une identité nationale forte, comment s’est modelé le lien unissant les Britanniques à l’Europe, au travers de leurs multiples interactions avec le Continent.

Les deux livres montrent qu’en dépit des alternances entre engagement et désengagement, l’Angleterre est demeurée tout au long son histoire, et particulièrement ces trois derniers siècles, un acteur du jeu européen. Constamment à la recherche d’un équilibre continental, elle a cherché à se protéger contre tout risque d’invasion et toute entrave au commerce. Ce fil conducteur l’a conduite à bâtir des coalitions contre les puissances menaçant l’équilibre continental.

En dépit de la constance de cet engagement européen, un élément distingue l’Angleterre des autres puissances européennes au XXe siècle : l’absence de « conscience européenne », et le refus d’une intégration supranationale qui la conduirait à des abandons de souveraineté. La Grande-Bretagne se considère plus comme un soutien bienveillant que comme un participant au processus d’unification. Elle privilégie la zone de libre-échange, l’Association européenne de libre-échange (AELE), avant de rejoindre finalement le marché européen, jugé plus performant, mais dans le cadre d’un engagement taillé sur mesure.

Avec le référendum sur le Brexit, le Royaume-Uni reprend sa liberté, dans l’espoir de mieux tirer parti de la mondialisation. Les deux auteurs divergent sur l’interprétation de cette décision et sur ses conséquences potentielles : Jeremy Black l’interprète comme la défense des valeurs et de l’identité britanniques, ancrées dans l’histoire nationale, que n’a pu contrebalancer une absence de mythes et symboles liés à l’appartenance à l’Union européenne. Robert Frank souligne que cette sortie pourrait exacerber les tensions entre les différentes entités du Royaume-Uni. Le vote en faveur du Brexit, majoritairement anglais et gallois, contraint les autres parties du Royaume-Uni, Écosse en tête, à choisir entre leur identité britannique et européenne. Ce processus pourrait-il initier une prise de conscience paradoxale : pour « préserver le Royaume-Uni qu’ils ont construit il y a plus de trois cents ans, les Anglais n’ont-ils pas intérêt à se maintenir en Europe » ?

Éric-André Martin

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