Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère
(n° 3/2019)
. Frédérique Schillo propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Hervé de Charette, Opération Raisins de la colère. L’histoire secrète d’un succès diplomatique français (CNRS Éditions, 2018, 208 pages).

Dans l’historiographie des crises, la médiation pour mettre fin à l’opération israélienne contre le Hezbollah en avril 1996 tient une place mineure, coincée entre l’invasion israélienne du Liban en 1982 et la destructrice seconde guerre du Liban en 2006. Elle constitue pourtant « la plus grande victoire diplomatique de la France au Moyen-Orient depuis 1945 », selon les mots de Shimon Peres que rappelle Hervé de Charette dans un ouvrage à la fois de témoignage et de réflexion sur la politique de la France au Levant.

L’ancien ministre des Affaires étrangères (1995-1997) puise dans ses souvenirs, dans les sources diplomatiques et les journaux de voyage de proches collaborateurs pour livrer un récit de l’intérieur sur cette médiation française aussi originale que décisive.

Il déconstruit la crise en 16 courts chapitres – autant d’éclairages sur les enjeux de l’intervention française (préserver la récente reconstruction du Liban, la place historique de la France et la parole même du président Jacques Chirac envers son ami le Premier ministre Rafic Hariri), les grands acteurs (le Liban meurtri et impuissant, Israël attaqué puis surpuissant, la Syrie et l’Iran clés des discussions avec le Hezbollah), la mécanique de la médiation (pour instituer un organisme de contrôle du cessez-le-feu) et de ses tournants, notamment le bombardement israélien de Cana qui pousse les Américains à intervenir à leur tour, exacerbant les rivalités entre le Département d’État et le Quai d’Orsay.

La particularité de la médiation française implique un dialogue avec tous les acteurs. Elle conduit ainsi le ministre treize jours durant à effectuer d’incessants allers-retours entre les capitales de la région. Le modèle adopté est celui de la shuttle diplomacy de Henry Kissinger ; une première pour la diplomatie française, même si l’on aurait pu rappeler son rôle dans les armistices entre Israël, la Syrie et le Liban en 1949, ou dans l’évacuation israélienne du Sinaï en 1957.

La chronique de ces rencontres donne lieu à de savoureux portraits : le glacial Secrétaire d’État Warren Christopher, « petit, maigre, sec comme une trique » ; le secret ministre iranien des Affaires étrangères Ali Akbar Velayati, rencontré discrètement à l’ambassade de France en Syrie ; ou l’inquiétant Hafez Al-Assad qui, recevant Charette en son palais surplombant Damas, actionne soudain le rideau métallique de l’immense baie vitrée, faisant grimper l’angoisse à mesure que la lumière disparaît « comme dans un film de James Bond ».

S’y dévoilent aussi les acteurs-clés de l’appareil diplomatique français, dont on mesure à quel point la mobilisation sur le terrain et la fluidité d’exécution constituent des atouts maîtres entre les mains du négociateur. L’ouvrage montre que le succès d’une médiation dépend aussi de l’engagement personnel de ses acteurs, comme Jacques Chirac et son ministre qui, à peine débarqué en Israël, prévient qu’il ne rentrera pas à Paris sans avoir obtenu un cessez-le-feu. Il illustre enfin comment la légitimité du médiateur détermine l’issue des pourparlers : c’est parce qu’elle est l’amie du Liban mais surtout reconnue par tous les acteurs que la France inaugure seule la médiation puis parvient à s’imposer aux côtés des États-Unis.

Trente ans plus tard, Hervé de Charette veut voir là une source d’inspiration pour lancer une nouvelle dynamique au Moyen-Orient, y contrer l’unilatéralisme américain et se rapprocher de l’Iran. Son ouvrage constitue à tout le moins un précieux document sur un succès de la diplomatie française.

Frédérique Schillo

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