Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère
(n° 3/2019)
. Marc Hecker, rédacteur en chef de Politique étrangère, propose une analyse de l’ouvrage de David Colon, Propagande. La manipulation de masse dans le monde contemporain (Belin, 2019, 432 pages).

David Colon est professeur agrégé d’histoire à Sciences Po, où il dispense notamment un cours sur la « fabrique de l’opinion ». Son nouvel ouvrage est une somme remarquable qui retrace l’histoire de la propagande du début du XXe siècle à l’ère des réseaux sociaux. Il s’appuie sur de nombreux travaux comme ceux de Jacques Ellul, dont il reprend la définition suivante : « La propagande est l’ensemble des méthodes utilisées par un groupe organisé en vue de faire participer activement ou passivement à son action une masse d’individus psychologiquement unifiés par des manipulations psychologiques et encadrés par une organisation. »

Deux champs sont plus particulièrement étudiés : la politique et l’économie. En matière politique, Colon montre que la propagande n’est pas l’apanage des régimes autoritaires. Au contraire, elle est intrinsèquement liée à la démocratie et à l’encadrement des masses : dans un régime démocratique, le pouvoir appartient à ceux qui parviennent à obtenir l’adhésion du plus grand nombre de citoyens. En matière économique, le capital appartient à ceux qui réussissent à attirer le plus grand nombre de consommateurs ou de clients par le biais, entre autres, du marketing et de la publicité.

Des passerelles existent entre ces deux champs, comme l’illustre la personnalité d’Edward Bernays. Ce dernier a fait partie de la commission Creel pendant la Première Guerre mondiale – chargée de convaincre l’opinion américaine de soutenir l’effort de guerre – avant de défendre les intérêts de grandes entreprises. On lui doit notamment une campagne – menée avec le soutien d’un éminent psychanalyste – présentant les cigarettes comme des « torches de la liberté » aidant les femmes à se soustraire au joug masculin. Après la Seconde Guerre mondiale, le même Bernays a été impliqué dans une entreprise de déstabilisation qui a conduit à la chute du président du Guatemala.

David Colon passe en revue les supports de propagande (radio, cinéma, télévision, etc.) et dissèque les méthodes de manipulation de l’opinion. Elles peuvent être grossières, à l’instar du mensonge et de la fabrication de faux, vraisemblablement promis à un bel avenir. Ainsi, comme le relevait Jean-Marie Domenach : « Contre la fausse nouvelle, le démenti est généralement sans force car il est très difficile de démentir sans “avoir l’air” de se défendre “comme un accusé” et il arrive que plus le faux est grossier, plus il a d’effet et plus il est difficile de le rectifier. »

Toutefois, les manipulations tendent à devenir de plus en plus subtiles. Les propagandistes sont en effet prompts à exploiter les progrès techniques et scientifiques. À cet égard, la dernière partie de l’ouvrage consacrée à « l’ère de la post-vérité » et la conclusion qui met en garde contre « l’âge de la propagande totale » ont de quoi inquiéter. L’auteur relève en effet que les avancées des neurosciences sont mises à profit pour tenter d’influencer les comportements et que les masses de données générées par la société numérique permettent de produire une « propagande personnalisée d’une redoutable efficacité ». L’exemple de l’ingérence russe dans l’élection américaine de 2016 est évidemment évoqué mais une des forces de l’ouvrage de David Colon est de ne pas se limiter à ce cas déjà abondamment traité. En somme, à l’heure du « storytelling » et des « infox », la lecture de ce livre dense est recommandée.

Marc Hecker

> > S’abonner à Politique étrangère < <