Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère (n° 3/2020). Julien Nocetti propose une analyse de l’ouvrage d’Edward Snowden, Mémoires vives (Seuil, 2019, 384 pages).

Les Mémoires vives du jeune Snowden – inconnu avant ses premières leaks de juin 2013 – ne sont pas une collection de secrets d’État, mais le récit d’une trajectoire individuelle, de l’enfance en Caroline du Nord jusqu’à l’exil forcé à Moscou.

Le premier quart de l’ouvrage, consacré à la vie personnelle du jeune Snowden, né au début des années 1980, a surtout le mérite de dresser un parallèle entre l’enfance d’un rejeton de famille conservatrice et l’essor de l’informatique domestique. Au milieu des années 1990, la découverte de l’internet devient la principale occupation de Snowden qui, de geek en herbe, se mue en pirate informatique imprégné d’idéologie libertaire, voire libertarienne : « Je considère que les années 1990 ont engendré l’anarchie la plus agréable et la plus réussie que j’ai connue. »

Les attentats du 11 septembre 2001 traumatisent le jeune homme, qui soutient sans ambages la « guerre contre le terrorisme » décrétée par George W. Bush. Ce sera là « le plus grand regret de [sa] vie ». Sa carrière militaire brisée par une blessure lors d’un exercice, Snowden s’oriente vers le renseignement, où il travaille comme employé de la Central Intelligence Agency (CIA), puis comme sous-traitant de la National Security Agency (NSA), occupant des postes d’administrateur système et d’ingénieur système. À la NSA, ce sont ces fonctions au cœur des réseaux qui lui autoriseront un accès très large à des documents internes.

Le récit, qui narre sa prise de conscience, passe par Genève, Tokyo, puis Hawaï, où il est affecté début 2012, et prend la décision qui va changer sa vie : « Une exposition totale de l’intégralité de l’appareil de surveillance de masse. » Ce sont là les pages les plus intéressantes du livre : l’auteur y expose ses ressorts, heurté qu’il est par les pratiques de l’État qu’il souhaitait servir, ainsi que les procédés de surveillance numérique globale mis en place par Washington. StellarWinds, CowBells, Turbulence, XKeyScore, etc. : les noms des opérations de surveillance sont connus depuis les révélations de documents secrets à la presse dès juin 2013. Leur description permet surtout de prendre la mesure du concentré de puissance que confère aux États-Unis l’hégémonie sur l’internet.

Le propos de Snowden sur ces programmes ne vise pas tant à effrayer le lecteur, qu’à faire œuvre de pédagogie sur des sujets en apparence arides. On y apprend, notamment, les techniques employées par les services américains pour collecter les données personnelles de presque n’importe quel individu dans le monde.

Dans la dernière partie, l’histoire s’accélère, rocambolesque : il y a Hong Kong, d’où Snowden se révèle au monde après les premiers articles du Guardian et du Washington Post, puis la fuite, l’atterrissage à Moscou, censé n’être qu’une étape sur la route de Quito, en compagnie de la journaliste Sarah Harrison, figure de WikiLeaks. Snowden, qui n’a jamais caché avoir été approché par le renseignement intérieur russe, raconte l’« offre d’engagement » qui lui est alors faite, à laquelle il coupe court. Il a d’ailleurs assuré ne jamais avoir transmis aux Russes la moindre information. Il découvre alors que les États-Unis ont annulé son passeport, le bloquant en Russie, où il se trouve toujours. À Moscou, il assure vivre des cachets de conférences qu’il donne à distance et dans lesquelles il milite contre les pratiques de surveillance et de censure des États.

Julien Nocetti

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