Cette recension est issue de Politique étrangère 2/2013. Denis Bauchard propose une analyse de l’ouvrage de Jean-Pierre Filiu, Le nouveau Moyen-Orient. Les peuples à l’heure de la Révolution syrienne (Fayard, 2013, 408 pages).

00-Filiu-9782213671673-X_0Avec ce livre consacré au « nouveau Moyen-Orient » en gestation, Jean-Pierre Filiu met l’accent sur la Syrie, « cœur battant de l’arabité », et sur un processus révolutionnaire encore loin de l’aboutissement. Il revisite et actualise son ouvrage paru dès 2011 sur la révolution arabe, et les dix propositions d’interprétation qu’il y exposait.
Il montre comment la Syrie de Bachar el-Assad est le produit d’une longue évolution, marquée par une politique d’influence de la France qui n’a pas toujours été pertinente. Ce survol de l’histoire de la Syrie indépendante décrit comment Hafez el-Assad a pris le pouvoir en s’appuyant sur une armée largement formée d’alaouites qui, venant d’une région particulièrement déshéritée, y trouvaient emploi, voire prébendes. Sa description du système Assad permet de comprendre comment le pouvoir a pu être conservé pendant aussi longtemps par une communauté minoritaire. Son « architecture » repose sur cinq piliers : le gel du front du Golan, la vassalisation du Liban, l’appui financier du Golfe, le soutien militaire de l’URSS et l’alliance stratégique avec l’Iran. Bachar, devenu président par défaut après la mort accidentelle de son frère, devait, avec moins d’habileté et après un printemps de Damas en trompe l’œil, en reconduire les principales caractéristiques.
L’étincelle de la révolution syrienne vient d’une ville moyenne, Deraa, dans le Sud du pays, où on ne l’attendait pas. Le 6 mars 2011, une vingtaine d’adolescents sont raflés et disparaissent après avoir écrit sur les murs : « Le peuple veut renverser le régime. » Dès lors, l’engrenage des manifestations et de la répression était en marche. De manifestations pacifiques en « vendredis de la fierté », d’enterrements des victimes civiles à l’apparition progressive d’éléments armés du côté des rebelles, qui d’abord défendent les cortèges puis affrontent directement l’armée du régime, le cycle infernal se développe depuis maintenant près de deux ans. Du printemps des comités à l’hiver des massacres et à l’été du basculement, le régime perd progressivement le contrôle d’une partie du pays, sans cesser pour autant d’exercer une répression qui touche essentiellement les populations civiles. Mais il n’est pas sûr que l’écroulement du régime mette fin aux affrontements, malgré les efforts pour unifier l’opposition syrienne.
Dans le même temps, les révolutions arabes se poursuivent avec des scénarios très diversifiés. En revisitant les leçons qu’il avait tirées dans son ouvrage publié à la mi-2011, J.-P. Filiu confirme et actualise ses premières conclusions et met à mal quelques idées reçues. Il invite en particulier à ne pas surestimer le rôle des réseaux sociaux dans le succès des révolutions, montre que les islamistes sont au « pied du mur », décrypte les jeux du Qatar et de l’Arabie Saoudite.
Centré sur la révolution en Syrie, cet ouvrage permet de mieux comprendre le soulèvement actuel, dans un contexte de grande complexité : affectant un pays clé du Moyen-Orient, son issue aura des conséquences majeures sur l’ensemble de la région.

Denis Bauchard

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