Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n° 4/2017). Stéphane Valter propose une analyse de l’ouvrage de Florence Gaub, Guardians of the Arab State: When Militaries Intervene in Politics, from Iraq to Mauritania (Hurst, 2017, 272 pages).

Voici un ouvrage fort intéressant, même si ce n’est pas le premier travail sur la question, et que plusieurs points n’y sont guère traités, alors que les répétitions sont nombreuses. Son plan est discutable : des questions générales, concernant toutes les armées arabes, sont abordées, puis reprises plus loin au gré des sections traitant des cas d’espèce (les armées par pays), ce qui génère des redites, seraient-elles utiles.

Si le livre propose une bonne synthèse sur son sujet, on peut néanmoins regretter que l’auteur n’ait apparemment pas utilisé de sources en langue arabe car, même si elles sont loin d’être toujours utiles, elles permettent souvent de saisir les dynamiques internes, mieux que les études en langue étrangère (l’anglais, en l’occurrence), qui s’inspirent souvent les unes des autres, quelquefois sans grande originalité. Les références du livre sont cependant nombreuses, ce qui aidera ceux qui voudraient approfondir telle ou telle question.

Un atout de l’ouvrage est de présenter une histoire synthétique de plusieurs armées arabes, depuis les indépendances, et même avant. S’il n’y a là rien d’original, il faut savoir gré à l’auteur de replacer le présent dans une perspective plus large. Quant aux derniers développements, depuis 2010-2011, qui mériteraient probablement un surcroît d’investigation, ils ne semblent pas toujours présentés comme étant le fruit de recherches approfondies de terrain, par ailleurs difficiles voire dangereuses. Si bien qu’on se demande où est l’apport vraiment personnel de l’auteur, si ce n’est une remarquable capacité à synthétiser.

Un des focus du livre – les coups d’État – suscite un intérêt particulier étant donné leur nombre dans l’histoire arabe contemporaine. L’auteur en explique parfaitement la mécanique, à grand renfort d’explications théoriques générales, parfois plus ou moins évidentes. On peut ainsi se demander si cet angle d’analyse, utile pour sa technicité, propose un éclairage suffisamment pénétrant pour aider à saisir toutes les dynamiques mouvementées entre forces armées et nations. Peut-être eût-il fallu réfléchir plus sur les aspects sectaires et ethniques, sur les divergences politiques qui traversent les corps des officiers, sur le sentiment d’appartenance nationale, sur les rapports socio-économiques de manière générale, sur les influences religieuses, etc., autant de points abordés mais sans doute sans la profondeur nécessaire.

Outre les questions générales et transversales, le livre traite de plusieurs cas, dont certains semblent mieux maîtrisés (ou en tout cas développés) que d’autres. Pour la Syrie, le lecteur reste sur sa faim, par manque d’enquêtes de terrain – mais qui pourrait le reprocher ? –, et les chiffres avancés doivent plus être vus plus comme indicatifs qu’exacts. Pour le cas égyptien, l’analyse sur l’immixtion de l’armée dans les affaires économiques offre une grille de lecture lumineuse, mais certaines questions restent à approfondir (perception des menaces et priorités stratégiques). Les pages sur l’Irak sont remarquables, mais il y a peu de choses sur les milices. Quasiment tous les pays sont abordés, mais avec un succès inégal. Et il y a peu de développements sur le recours aux sociétés privées de sécurité et autres mercenaires qui opèrent dans le Golfe, au détriment des armées nationales, qui n’existent, en fait, pas vraiment.

Stéphane Valter

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