Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2025 de Politique étrangère (n° 2/2025). Francesca Celi propose une analyse de l’ouvrage de Paula Cristina Roque, Géopolitique des détroits. Enjeux de contrôle de passages stratégiques (Le Cavalier bleu, 2025, 184 pages).

Espaces générateurs de flux transversaux et longitudinaux, le Pas de Calais, le Bosphore, Gibraltar, Malacca, Ormuz, Bab-el-Mandeb, Magellan ou Øresund représentent des passages obligés pour les hommes et les marchandises. Mais les détroits sont aussi des points de jonction entre pays séparés par des intérêts divergents : des îles Kouriles du Sud au détroit du Groenland en passant par les Dardanelles, du canal de Suez à celui de Panama. Points de passage incontournables en temps de paix comme en temps de guerre, les détroits sont devenus théâtres des conflits géopolitiques. De la Chine à la mer Baltique jusqu’aux îles de l’Asie du Sud-Est, la guerre a souvent été la seule réponse aux différends stratégiques et commerciaux.
Il a fallu attendre jusqu’en 1982 pour que les États membres de l’ONU signent la convention de Montego Bay – la première à proposer une réelle assise juridique tentant à pallier l’absence de réglementation des espaces maritimes, avec une répartition entre mer territoriale, zone économique exclusive et haute mer. Un contrôle juridique nécessaire pour organiser les rivalités à la fois politiques et économiques découlant souvent de différends commerciaux : 90 % du commerce mondial transitent par les passages stratégiques de Bab-el-Mandeb, Malacca, Suez, Panama ou Gibraltar. Souvent sécurisés par des bases militaires, ces détroits sont stratégiques en ce qu’ils sont le reflet des rapports de force entre puissances, justifiant la présence anglaise à Gibraltar, espagnole à Ceuta et Melilla, groenlandaise islandaise et britannique à Keflavík en Islande, franco-britannique et américaine dans le détroit d’Ormuz, émirati dans l’île de Socotra au Yémen. La force militaire est en réalité étroitement liée aux rivalités de suprématie territoriale entre la Russie et le Japon pour le territoire des îles Kouriles, ou entre les États-Unis et la Chine, cette dernière récusant la présence américaine dans l’archipel des Ryūkyū à proximité du détroit de Taïwan.
Il s’agit donc de pallier une vulnérabilité qui peut être à la fois technique, économique, politique, militaire ou environnementale. Si Malacca constitue un véritable dilemme du fait des tensions qui s’accumulent en mer de Chine et dans l’archipel indonésien, contourner Suez et Bab-el-Mandeb ne s’avère guère facile, et les difficultés surgissent autour du canal de Panama. C’est pourquoi le choix des routes arctiques pourrait paraître le plus aisé, en dépit des risques environnementaux. Peut-on dès lors envisager des alternatives continentales ? Doubler le canal de Panama par la construction d’une voie ferrée ou par un corridor bi-océanique Brésil-Chili ; créer de Nouvelles routes de la soie par de nouveaux corridors terrestres en Asie centrale ou entre la Chine et le Pakistan ou l’Inde ; relier les différents ports par des corridors économiques, par exemple entre l’Inde, l’Asie mineure et l’Europe ? Tous ces projets se heurtent à de multiples difficultés.
Ce long périple à travers les océans permet au lecteur d’acquérir une vision objective sur leur importance stratégique, dans un contexte géographique où il n’y a plus de véritables frontières. La mer se perd en effet dans cette « organisation spatiale spécifique » voulue par la mondialisation.
Francesca Celi
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.