Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne 2025 de Politique étrangère (n° 3/2025). Yves Gounin propose ici une analyse de l’ouvrage dirigé par Frédéric Ramel (avec la collaboration d’Aghiad Ghanem), Espace mondial (Sciences po, 2024, 476 pages).

« Espace mondial » est à la fois le titre d’un manuel et celui du cours magistral que Frédéric Ramel dispense en deuxième année à Sciences Po Paris. Ce cours est l’héritier d’une réforme de Sciences Po concomitante à la chute du mur de Berlin. La vieille « géopolitique » y avait été rebaptisée « Grandes lignes de partage du monde contemporain ». L’approche se voulait interdisciplinaire et entendait échapper au monopole que les historiens exerçaient depuis Renouvin et Duroselle sur le champ des relations internationales en France. Un atelier de cartographie fut créé à Sciences Po, avec Marie-Françoise Durand comme figure tutélaire. Aujourd’hui encore, l’atlas qu’il publie figure au nombre des ouvrages de référence que tout bon étudiant à Sciences Po se doit de connaître.

L’enseignement de Frédéric Ramel et le manuel qui l’accompagne s’inscrivent dans cette filiation. Il convoque les sciences sociales : l’histoire, la géographie mais aussi les sciences politiques, l’économie, la démographie. Fidèle à Bertrand Badie, il fait la part belle à la sociologie. Il entend aussi remettre en cause la centralité de l’État : les relations internationales ne se résument pas à leur affrontement ou à leur coopération, mais doivent prendre en compte de « nouveaux » acteurs (firmes multinationales, organisations non gouvernementales, forums régionaux, Églises, mafias, etc.).

Le livre est organisé en douze chapitres, répartis en quatre parties : Contextualisation, Structuration, Régulation et Tension. Sous ces intitulés intimidants sont traitées les questions transversales du monde contemporain : les déséquilibres démographiques, l’épuisement des ressources naturelles, la transnationalisation des acteurs et la remise en cause de la centralité des États, la régionalisation du monde, les tentatives pas toujours réussies de régulation, la compétition entre les grandes puissances, les dynamiques identitaires, le « retour » du sacré…

Un autre plan était possible en deux parties, la première sur les questions transversales et la seconde sur les questions régionales, dans laquelle chaque grande puissance/groupe de puissances aurait eu droit à son chapitre. Tel était le plan choisi par Maxime Lefebvre dans son ouvrage – Le Jeu du droit et de la puissance (Paris, PUF, 1997) – qui, faute à Bertrand Badie d’avoir jamais écrit de manuel, fit office pendant une vingtaine d’années d’ouvrage de référence à Sciences Po et continue à être réédité, ou bien dans les deux tomes des Relations internationales (Paris, Seuil, 2007) de Philippe Moreau Defarges – Questions régionales et Questions mondiales. Le défaut de l’approche retenue est qu’elle ne permet pas de traiter en tant que tels des sujets aussi importants que la menace chinoise, l’hégémonie américaine, la construction européenne ou la déprovincialisation des Afriques (pour renverser le titre du célèbre ouvrage de Dipesh Chakrabarty). L’absence d’un index ou d’un sommaire détaillé est un handicap supplémentaire.

Le résultat n’en reste pas moins imposant et digne d’éloges. Ce manuel – au prix admirablement modique –, agrémenté de cartes et de photos, enrichi pour chaque chapitre par une bibliographie commentée et par des références littéraires, cinématographiques et musicales étonnantes (un livre qui cite Le Bureau des légendes, la BD Quai d’Orsay et Midnight Oil ne peut pas être mauvais…), fera date.

Yves Gounin

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