Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne 2025 de Politique étrangère (n° 3/2025). Anthony Guyon propose ici une analyse de l’ouvrage d’Angela Merkel et Beate Baumann, Liberté (Albin Michel, 2024, 688 pages).

Après quatre mandats et seize années à la tête de la première puissance d’Europe, Angela Merkel a quitté ses fonctions en décembre 2021. Elle se lance, dès l’année suivante, dans la rédaction de ses Mémoires, denses et rarement critiques, alors que le continent est depuis confronté à la guerre en Ukraine et à de multiples lignes de fractures.
Fidèle à sa personnalité, la chancelière préfère les longues explications pondérées aux petites phrases mesquines, habituelles dans ce genre d’exercice. Elle relate d’abord, avec une fierté contenue, son histoire personnelle qui la conduit de la RDA à la tête de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) puis au poste de chancelière. Le récit de ce destin hors-norme apparaît comme le passage le plus réussi. Le lecteur ne peut en effet comprendre son plaidoyer en faveur de la liberté et de la démocratie sans garder à l’esprit qu’Angela Merkel a 35 ans quand le mur de Berlin s’effondre. C’est notamment la raison pour laquelle elle met en garde contre l’Alternative pour l’Allemagne (AFD), le parti d’extrême droite fort d’un score de 20 % aux dernières élections fédérales.
Le cœur du livre est toutefois consacré à la politique internationale de la chancelière, où les anecdotes abondent – probablement trop. Le lecteur découvre, ou redécouvre, avec moult détails sa dégustation d’un steak d’ours, le goût prononcé de Vladimir Poutine pour la bière Radeberger et le traumatisme créé par ce dernier quand il lâche son labrador noir Koni dans la pièce où ils se trouvent. L’autrice cache difficilement un certain ressentiment vis-à-vis de ceux qui l’ont sous-estimée, à l’instar de George W. Bush quand il lui demande de traiter un dossier directement avec Condoleezza Rice.
Vladimir Poutine, pour lequel elle ne masque aucunement son aversion, apparaît comme le personnage récurrent du livre. À l’inverse, les quatre présidents français, avec lesquels elle a pourtant traversé de nombreuses crises et parfois noué une vraie amitié, ne font pas l’objet de portraits approfondis. Assez logiquement, la géopolitique de l’Europe de l’Est est revue au prisme d’une lecture souvent téléologique influencée par la guerre d’Ukraine, mais l’ex-chancelière cherche plus à justifier ses décisions qu’à reconnaître certaines erreurs, ou mieux à proposer des pistes pour renforcer l’Europe. Les descriptions s’avèrent d’une grande précision sur la crise des réfugiés ou la gestion du Covid-19, mais le récit l’emporte toujours sur l’analyse.
Le plaidoyer final revient sur la question de la liberté et l’importance de la démocratie en Europe. On peut regretter l’absence d’une partie autocritique et de propositions pour une perspective géopolitique de l’Europe face à des menaces que l’auteure décrit parfaitement. Les Mémoires ont peut-être été écrites trop précocement, alors que les dernières élections ont conduit à une remise en question des années Merkel. Dans un contexte d’interrègne et à l’heure où les voix fortes manquent face au chaos ambiant, la forme de ces Mémoires ainsi que le choix de la chancelière de ne plus participer à la vie politique allemande et européenne laissent dubitatifs, au moment où les partis souhaitant balayer la démocratie et la liberté en Europe ne cessent de se renforcer.
Anthony Guyon
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