Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne 2025 de Politique étrangère (n° 3/2025). Dominique David, co-rédacteur en chef, propose ici une analyse de l’ouvrage de Claude Blanchemaison, Fragments d’un parcours aventureux. Au fil des bouleversements du monde (Temporis, 2025, 544 pages).

L’ouvrage de Claude Blanchemaison nous convie à suivre un long parcours de vie : personnelle – avec juste ce qu’il faut de notations sur les années de formation, ou quelques goûts artistiques – et surtout professionnelle. Il s’agit bien – la référence à Barthes dit tout – du parcours amoureux d’une profession : celle de diplomate, dans ses tours et détours.
Et les détours, la vie de Blanchemaison n’en manque pas. Ouverte dans la dimension européenne au temps de l’élargissement à l’Espagne et au Portugal (l’élargissement étant alors pensé politiquement et économiquement, bref rationnellement et non comme une inévitable course vers un futur inconnu), une dimension que l’auteur retrouvera à plusieurs temps de sa carrière, sa déambulation mondiale l’emmène sur tous les théâtres qui nous apparaissent aujourd’hui comme déterminants : Asie, Afrique, Europe… Le sous-titre « au fil des bouleversements du monde » ne pouvait être plus opportun.
Le chargé d’affaires en Afrique du Sud (en 1985) vit les dernières années de l’apartheid – années enthousiasmantes mais complexes, même pour l’administration française : il faut gérer le présent tout en préservant l’avenir. Puis c’est le Vietnam : le parcours « amoureux » pointe alors sous les pages de Claude Blanchemaison. L’affaire est passionnante : il s’agit de redéfinir les relations entre deux pays proches mais qui affectent de l’ignorer. Claude Blanchemaison a narré ailleurs son dialogue avec Giap mais il l’intègre ici dans l’analyse diplomatique qu’il déploie pour chacun de ses postes – la préparation de la visite d’un président de la République qui se rend pour la première fois à Dien Bien Phu étant éminemment symbolique.
Puis c’est l’Inde, autre point d’arrêt à la fois géopolitique et affectif : la difficulté et la passion mises à saisir ce monde en soi transparaissent dans la description des actions menées par l’ambassadeur. À l’occasion d’une visite au Bhoutan, on apprend que les femmes, lasses, peuvent y renvoyer leur époux en déposant leurs effets sur le pas de leur porte : décidément, après l’invention du bonheur national brut, le Bhoutan est un pays à la modernité captivante…
La Russie (Claude Blanchemaison y est nommé ambassadeur en 2000) constitue un autre point haut de son aventure diplomatique. La période est cruciale : aujourd’hui nous savons qu’elle est celle du progressif basculement du désordre eltsinien à l’ordre poutinien, mais le futur n’était alors pas écrit. Blanchemaison rend précisément compte des efforts diplomatiques, et d’insertion, dans une société russe très active : ensemble, ils constituent le fond, l’exigence, du métier d’ambassadeur. Son expérience russe lui donne aujourd’hui quelque argument à développer sur la situation créée par la guerre d’Ukraine.
Le parcours d’ambassadeur s’achève en Espagne. Paradoxe incarné d’une politique étrangère qui la voit comme un pays à la fois très proche et vraiment étranger : les Pyrénées ne sont toujours pas aplanies.
Au-delà du parcours géopolitique, qui vaut au lecteur, à chaque étape, de stimulantes réflexions pour l’actualité, le parcours de Claude Blanchemaison nous instruit sur toutes les dimensions du métier de diplomate. Dialogues, négociations, échanges interministériels, rien n’est celé du travail quotidien : un très utile rappel des exigences multiples, complexes, d’un métier dont on semble par les temps présents oublier la grandeur au profit de l’administration de la force brute.
Dominique David
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