Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne 2025 de Politique étrangère (n° 3/2025). Denis Bauchard propose ici une analyse de l’ouvrage d’Adel Bakawan, La décomposition du Moyen-Orient. Trois ruptures qui ont fait basculer l’histoire (Tallandier, 2025, 320 pages).

À un moment où la confusion et le chaos semblent à leur comble dans un Moyen-Orient où les guerres se multiplient, le livre d’Adel Bakawan apporte une analyse lucide qui permet de bien comprendre les racines de cette situation, de mieux situer les acteurs essentiels et d’esquisser des scénarios d’avenir possibles.

Le point de départ de son analyse est le 11 Septembre et ses conséquences. Les États-Unis de George W. Bush s’engagent dans une politique ambitieuse : remodeler un « Grand Moyen-Orient », où régneraient la démocratie et la prospérité économique et qui contribuerait à la sécurité d’Israël. Cette « utopie » s’est brisée sur le mur des réalités. L’intervention de 2003 en Irak, qui violait l’ordre international, devait être suivie d’un nation-building mais a en fait débouché sur un fiasco multiforme : essor des mouvements terroristes, en particulier de Daech, fragmentation de l’Irak, installation d’un gouvernement dominé par les chiites à Bagdad et développement de l’influence iranienne, notamment à travers de nombreuses milices contrôlées et financées par Téhéran.

Le printemps arabe est devenu le « rêve avorté d’une génération », qui s’est traduit par des échecs répétés affectant tous les mouvements développés à partir de décembre 2011. Ces échecs devaient prendre diverses formes : des reconfigurations autoritaires, des situations de guerre civile, des États en décomposition ou faillis comme l’Irak et le Liban, tandis que d’autres peuples – les Kurdes et les Palestiniens – continuaient de revendiquer en vain un État. Cette évolution a renforcé les milices qui sont devenues des acteurs majeurs du jeu, comme le Hezbollah, les Houthis et le Hamas.

La perspective d’une certaine recomposition s’est cependant esquissée. L’Arabie saoudite, sous la direction du roi Salmane et de Mohammed ben Salmane, est apparue comme « l’architecte d’un nouveau Moyen-Orient », pratiquant un multi-alignement caractérisé par un rapprochement avec l’Iran, une réconciliation avec la Turquie et la volonté de normaliser ses relations avec Israël dans le cadre des accords d’Abraham. Ce processus fut brutalement interrompu le 7 octobre 2023. La guerre menée sur sept fronts par Israël a pour objectif une « victoire totale », notamment contre le Hamas. La Turquie, en contribuant à la chute du régime de Bachar Al-Assad, se voit offrir l’opportunité d’effectuer un « retour en force », tandis que Riyad a renoncé pour l’heure à normaliser ses relations avec Israël.

L’auteur décrit bien la montée en puissance de l’affrontement mené par Israël contre l’« Axe de la résistance ». Après les proxys décimés, c’est l’Iran lui-même qui est visé. À partir d’avril 2024, le conflit entre les deux pays est devenu frontal. La « guerre des 12 jours », survenue après la publication de l’ouvrage, et qui n’est que suspendue, le confirme et ne peut qu’interrompre ce processus de recomposition.

Ainsi l’avenir du Moyen-Orient reste-t‑il plus incertain que jamais. Israël, s’il engrange des succès militaires, n’envisage toujours aucune solution politique, aussi bien avec les Palestiniens qu’avec l’Iran. Donald Trump pourra-t‑il imposer la paix dans la région ? La lecture de cet ouvrage permet en tout cas de mieux comprendre enjeux et perspectives.

Denis Bauchard

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