Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne 2025 de Politique étrangère (n° 3/2025). Michel Kazatchkine, conseiller spécial du bureau de l’OMS pour l’Europe, propose ici une analyse de l’ouvrage de Marion Aballéa, Une histoire mondiale du sida (1981-2025 (CNRS Éditions, 2025, 328 pages).

Le regard croisé de l’historienne et de la chercheuse en sciences sociales donne au récit un équilibre rare : vivant, mais lucide et préoccupé par le risque de « patrimonialisation » d’une épidémie qui a profondément bouleversé la vie, les comportements ainsi que les structures sociales et institutionnelles de générations successives.
Solidement documenté, cet ouvrage est le fruit d’une recherche bibliographique approfondie dans la littérature scientifique, les documents officiels et diverses archives, conférant au récit légitimité et consistance, tout en offrant des illustrations et évocations qui en rendent la lecture attrayante.
La première partie, « 1981-1995, la catastrophe, la lutte, l’impuissance », décrit les années noires marquées par l’absence de traitements antirétroviraux efficaces. La deuxième partie, « 1996-2006, la mobilisation générale », analyse le désastre provoqué par l’épidémie en Afrique à la fin des années 1990 et au début des années 2000, l’accès inégal aux traitements entre pays riches et en développement, et la réponse internationale inédite – politique et financière – à cette urgence mondiale. Enfin, la troisième partie, « 2007-2025, une maladie comme une autre ? », analyse les avancées notamment en matière de prévention et la transition du sida d’une urgence sanitaire mondiale vers une maladie chronique, à la croisée des maladies transmissibles et non transmissibles.
Cette division en trois périodes se justifie pleinement mais l’équilibre entre elles aurait pu être différent. La première occupe à elle seule la moitié de l’ouvrage, alors qu’elle relate des faits et analyses largement traités dans la littérature scientifique, historique et grand public. La deuxième partie constitue une étape essentielle de cette histoire. Le lecteur est ensuite conduit à s’interroger sur l’avenir de l’épidémie dans le contexte actuel des connaissances scientifiques et de la géopolitique contemporaine – l’ouvrage étant paru quelques semaines avant l’annonce, par la nouvelle administration américaine, de la fermeture de l’USAID et de la remise en cause du financement du President’s Emergency Plan for AIDS Relief (PEPFAR). Comme si la décennie 2010-2020 avait été une période de relative accalmie, marquée par peu d’enjeux.
Or il semble que c’est justement dans l’analyse, encore trop peu développée, de cette période – avec ses réussites et ses erreurs – que se trouvent les clés pour répondre aux questions que le sida pose aujourd’hui : pérennité de l’aide au développement, transition des financements internationaux vers des financements nationaux, production locale de médicaments, accès des pays à ressources limitées aux innovations médicales et, plus largement, avenir de la solidarité internationale et du multilatéralisme en santé après le Covid-19.
Enfin, on pourra regretter que le livre n’aille pas plus loin dans l’exploration des coulisses françaises : comment la France s’est-elle engagée dans le Fonds mondial ? Comment a-t‑elle créé UNITAID ? Comment ces décisions ont-elles parfois été concentrées dans un domaine réservé de la présidence de la République, en tension avec le ministère des Affaires étrangères ?
Si ce bel ouvrage se conclut sur l’espoir, raisonnablement fondé, que la génération actuelle verra la fin du sida, les aléas de la géopolitique et des politiques nationales dans les pays à faibles ressources rendent cet avenir encore fragile.
Michel Kazatchkine
 
								 
			 
		
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.