Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne 2025 de Politique étrangère (n° 3/2025). Marie Krpata, chercheuse au Centre d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) de l’Ifri, propose ici une analyse de l’ouvrage de Paolo Guerrieri et Pier Carlo Padoan, Sovereign Europe: An Agenda for Europe in a Fragmented Global Economy (Edward Elgar, 2024, 140 pages).

Pier Carlo Padoan et Paolo Guerrieri livrent ici leur vision d’une Europe plus résiliente, plus assertive, plus unie. Économistes s’étant frottés tant au monde académique qu’à la politique, Padoan, ancien ministre de l’Économie et des Finances italien, et Guerrieri, ancien sénateur italien, ouvrent le débat sur les principaux chantiers de l’Union européenne (UE). Ce faisant, ils traitent des risques d’échec, en raison de divergences potentiellement trop prononcées entre États membres, mais aussi de menaces extérieures. Ils se veulent également porteurs d’espoir dans un contexte de durcissement des relations internationales que l’UE n’a d’autre choix que de combattre si elle ambitionne de survivre.
L’ouvrage s’ouvre sur une brève histoire des relations internationales et des évolutions des équilibres de puissance post-Seconde Guerre mondiale : opposition Est-Ouest, hégémonie américaine, croissance de l’influence du Japon et de l’Europe dans le camp occidental, perte d’influence européenne, émergence de la Chine comme puissance contestatrice de l’hégémonie américaine, début de la rivalité technologique sino-américaine et possible fragmentation en blocs autour de Washington et Pékin. Pour ce faire, les auteurs proposent une grille de lecture mêlant différents leviers déterminant les rapports de force entre les principales puissances, parmi lesquelles l’Europe. En parallèle, ils se livrent à une analyse de la construction européenne avec une UE tiraillée entre intégration et élargissement et arbitrant constamment entre compétences communautaires et intergouvernementales.
La construction européenne s’est faite à la faveur des heurts de l’histoire : fin de la Seconde Guerre mondiale, guerre froide et réunification entre Europe de l’Est et de l’Ouest, crise financière, Covid-19… À chaque crise son avancée au niveau européen : Communauté européenne du charbon et de l’acier, union douanière, marché unique européen, UE, monnaie unique, élargissement vers les États du bloc de l’Est, union bancaire, endettement commun pour amortir les chocs économiques et sociaux de la pandémie du Covid-19.
Les auteurs suggèrent qu’à présent, avec un multilatéralisme en crise, l’UE s’engage en faveur de davantage de coopération internationale, en forgeant de nouvelles coalitions avec des États qui, comme elle, cherchent à s’extraire de la rivalité sino-américaine.
Pier Carlo Padoan et Paolo Guerrieri plaident pour un renforcement du marché unique à travers une politique industrielle mieux coordonnée et affirmée, mais aussi à travers sa dimension monétaire et fiscale, via notamment la création d’une Union des marchés de capitaux et un renforcement du rôle de l’euro à l’international.
Une autre conviction affichée par les auteurs : la transition énergétique et la compétitivité devraient aller de pair. Ainsi, un découplage européen par rapport au gaz russe ne permettrait-il pas d’accélérer le tournant vers les énergies renouvelables ? Ce qui pose cependant la question de la dépendance de l’UE par rapport à la Chine pour l’approvisionnement de produits nécessaires à cette transition.
Proposant des recommandations tout en évoquant les arbitrages nécessaires, l’ouvrage a le mérite d’éclairer toute la complexité des enjeux. Pour, peut-on espérer, réconcilier le citoyen intéressé avec une UE dont les processus décisionnels sont parfois perçus comme très lents par l’opinion publique.
Marie Krpata
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.