Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne 2025 de Politique étrangère (n° 3/2025). Pierre-Alain Clément propose ici une analyse de l’ouvrage de Thomas Bausardo, L’antiterrorisme français. Une histoire internationale (Nouveau Monde Éditions, 2024, 546 pages).

Assumant d’« adopter méthodologiquement le point de vue de l’État, sans pour autant l’épouser », l’auteur n’esquive pas les problèmes conceptuels et normatifs du sujet mais soumet son positionnement à la critique raisonnée. L’approche internationale permet de « comprendre ce qu’un État […] désigne comme “terroriste”, pour quelles raisons, et comment cette désignation coïncide – ou non – avec celle adoptée par les autres États avec lesquels il entend coopérer », mettant en évidence l’absence de substance terroriste pour en faire une catégorie politiquement construite. La lutte contre le terrorisme est ici comprise comme facteur de structuration de l’appareil policier et de renseignement.
Le terrain exploré est aussi riche que difficile d’accès. Les archives des ministères (Intérieur, Affaires étrangères, Justice, Défense) et de la présidence de la République sont soumises au secret, disséminées, et leur consultation n’est pas de droit pour la période d’après-guerre. Complété par des entretiens avec les acteurs, l’examen du matériau empirique suit donc la méthodologie historique classique.
Suivant une chronologie analytique découpée en deux séquences, la césure se faisant à partir de 1968, l’auteur range d’un côté les deux premières vagues du terrorisme de Rappoport (« anarchiste » puis « anticoloniale »), génératrices de coopérations ad hoc et peu pérennes. De l’autre, les deux dernières vagues (« nouvelle gauche » puis « religieuse »), qui voient la négociation et l’adoption d’instruments internationaux durables, surtout au sein de l’Union européenne.
Pour l’auteur, les initiatives interétatiques de la fin du xixe siècle jusqu’à 1968 faisaient la preuve d’un « perpétuel recommencement […] sans continuité affirmée » de la coopération antiterroriste, essentiellement bilatérale. Le changement fut impulsé par un cadre multilatéral qui en fit un domaine d’action pérenne, la coopération devenant « un enjeu juridique et administratif à part entière ». Ce faisant, les services de police et de renseignement développent compétences et organisations dédiées, ainsi qu’une culture de la coopération qui se confronte aux logiques bureaucratiques et au secret, d’où le « caractère fondamentalement heurté » de l’histoire de cette coopération. Les autres volets de l’antiterrorisme, militaire et judiciaire, connaissent aussi des formes de coopération, avec les opérations extérieures multilatérales et le mandat d’arrêt européen, qui signe la « disparition de la notion de criminalité politique », et donc la fin des refus d’extradition des terroristes.
L’internationaliste à la recherche de théories du terrorisme regrettera de trouver ici peu de discussion des oppositions existantes (en particulier l’apport des études critiques). Il y trouvera en revanche une mine d’informations sur les âpres négociations autour des différentes conventions contre le terrorisme et la construction des politiques publiques antiterroristes. Par ailleurs, la proximité avec le pouvoir étatique – par l’examen de ses archives – conduit inévitablement à adopter une approche statocentrée, qui s’intéresse aux « vainqueurs de l’histoire », laissant quelque peu en retrait ses « perdants » et les voies alternatives qu’elle aurait pu emprunter. Cela n’enlève cependant rien au mérite de cet ouvrage qui répond avec érudition aux buts qu’il s’est fixés.
Pierre-Alain Clément
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