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[Articles récents] Comment sortir de l’ornière les pays « faillis » ? (S. Michailof)

Article issu de Politique Etrangère volume 76, n°1, paru le 21 mars 2011, rédigé par Serge Michailof, ancien directeur opérationnel à la Banque mondiale, ancien directeur exécutif chargé des opérations de l’Agence française de développement (AFD) et ancien vice-président de Proparco. Il est également professeur à Sciences Po.

 

 

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L’effet d’entraînement des graves crises que connaissent certains États a conduit la communauté internationale à multiplier les tentatives d’aide au redressement. On peut pourtant s’interroger sur l’inadaptation de ces tentatives : dans leurs méthodes de travail, leur cadre conceptuel, dans leur philosophie même. Il faut sans doute pour l’avenir privilégier la reconstruction des institutions régaliennes, seules susceptibles de garantir la réorganisation sociale et le développement économique.

 

Si certains pays du Sud émergents nous disputent désormais la prééminence économique, financière, mais aussi intellectuelle et militaire, à l’autre extrémité du spectre, une cinquantaine de pays représentant environ un milliard d’habitants sont à la traîne : ils ont décroché du processus de mondialisation, ou ne s’y sont jamais intégrés. Les pays dont l’économie est simplement restée stagnante risquent de basculer dans des spirales d’échec qui peuvent les conduire au minimum à des crises sociales et politiques très graves, au pire à la guerre civile. Ce risque de basculement est d’autant plus élevé que ceux-ci cumulent des facteurs de risque spécifiques. Or l’expérience montre qu’il existe un effet d’entraînement sur les pays voisins. Ces pays menacent en conséquence la stabilité régionale à laquelle la communauté internationale ne peut rester indifférente. Celle-ci, qui assume à juste titre un rôle de plus en plus actif pour tenter de sortir ces pays de l’ornière, montre une maladresse et une inefficacité dans ses interventions qui culminent aujourd’hui avec le désastre de l’Afghanistan. Il est de ce fait permis de se demander si les méthodes de travail, le cadre conceptuel et la philosophie générale qui la guident pour traiter ces questions ne sont pas profondément inadaptés. Et même si son action ne finit pas par faire partie du problème. Si tel était le cas, ces modes d’action, tout comme leur cadre conceptuel, exigeraient une radicale remise en cause.

Échec économique et démographie galopante : un mélange instable

Les pays qui ont ainsi trébuché sur le chemin du développement présentent une grande diversité géographique et culturelle, mais aussi des caractéristiques communes. Ils ont manqué leur insertion dans la mondialisation. Au-delà de la stagnation économique, leur autre caractéristique habituelle est une forte démographie. Presque partout, la transition démographique est certes amorcée mais l’inertie de ces phénomènes étant considérable, la période de transition peut s’étaler sur une trentaine d’années. Or si l’économie stagne, c’est la période de tous les dangers. Dans les villes, les jeunes ne trouvent pas d’emploi ; les périphéries se couvrent de bidonvilles et d’habitats spontanés où les conditions de vie sont dégradées. Dans les campagnes, les surfaces cultivées ne suivent pas l’accroissement de la population ; si l’agriculture ne se modernise pas, ce qui est fréquent, la détérioration des écosystèmes mène à des crises malthusiennes comme on le constate au nord du Sahel ou dans certaines vallées afghanes. Enfin, ces pays ont les plus grandes difficultés à assumer leurs responsabilités régaliennes. Sécurité, justice, éducation, soins de santé de base ne sont ainsi plus assurés. Finalement, ces États se trouvent dans une situation de grande instabilité : on les qualifie de « fragiles ».

Un cas caractéristique de cet état d’instabilité provoqué par une démographie galopante dans une économie en berne est celui de la Côte d’Ivoire, dont la population est passée de 3 millions d’individus à l’indépendance, à près de 21 millions aujourd’hui, soit une multiplication par 7 en 50 ans. La crise politique qui y sévit1 depuis 1999 est largement liée à la combinaison de ce choc démographique et de l’échec économique qui affecte le pays depuis 1980. Nombre de pays d’Afrique subsaharienne sont dans une situation analogue; mais aussi certains pays andins d’Amérique latine et d’Asie centrale. Que penser finalement du cas très particulier du Pakistan, qui n’a que récemment débridé sa croissance pour replonger dans une double crise politique et économique ?

La mécanique des spirales d’échec

Les mécanismes qui plongent ces pays fragiles dans des spirales d’échec sont désormais bien identifiés. L’élément déclencheur sur lequel se focalisent les médias relève le plus souvent de l’incident qui tourne mal : un cas très classique est la contestation d’une élection truquée. Cette étincelle serait sans effet majeur en l’absence de facteurs de risque : on a souligné le rôle de la démographie, de la stagnation économique et du déséquilibre démographie/ressources naturelles. Mais d’autres facteurs jouent un rôle tout aussi important.

La géographie peut constituer une source de fragilité lorsqu’une topographie particulièrement difficile fait que le « pays » n’a finalement jamais pu être totalement contrôlé par un pouvoir central, comme l’Afghanistan. D’autres éléments, de nature culturelle ou historique, ne doivent pas être oubliés. Certaines tensions peuvent remonter à un passé lointain, à de très anciennes lignes de fracture, telle la zone de contact entre Afrique blanche et Afrique noire où les affrontements sont toujours d’actualité, de la Mauritanie au Sud-Soudan. Si ces facteurs de risque correspondent à des tendances de long terme à forte inertie, des éléments aggravants sont aussi souvent à l’oeuvre, sur lesquels il peut être possible d’agir, comme l’accès aux armes modernes ou l’accaparement des rentes par une minorité.

La facilité d’accès aux armes modernes est un défi pour le premier des pouvoirs régaliens : le monopole de l’usage de la force. Les querelles tribales se réglaient hier avec arcs, flèches et machettes et si de monstrueux massacres étaient possibles (par exemple au Rwanda), l’autorité de l’État pouvait être vite restaurée, la force publique détenant seule les fusils. Ce n’est plus le cas quand la Kalachnikov peut être acquise pour quelques centaines de dollars, et que cet « outil » est pour son possesseur un investissement rentable.

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L’économie japonaise : miroir de notre futur ? (C. Meyer, 2011)

Article issu de Politique Etrangère volume 76, n°1, paru le 21 mars 2011. Son auteur, Claude Meyer, est chercheur au Groupe d’économie mondiale de Sciences Po et ancien directeur général-adjoint d’une banque japonaise à Paris. Il enseigne l’économie internationale à Sciences Po. Parmi ses ouvrages, on pourra lire Chine ou Japon : quel leader pour l’Asie ? (Paris, Presses de Sciences Po, 2010).

 

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Malgré un apparent déclin, le Japon produit aujourd’hui presqu’autant que la Chine. Si son économie fait face à de lourds défis (absence de leadership politique, endettement public, vieillissement de la population), ses atouts sont aussi réels : excellence technologique, dynamisme commercial, puissance financière, leadership économique et commercial en Asie. Une forte volonté politique et un regain de confiance pourraient permettre le retour d’une croissance modérée mais durable.


Un Japon anémié et vieillissant face à une Chine dynamique et conquérante. Pour beaucoup, la cause est entendue : deux décennies de quasistagnation ont largement amorcé le déclin du Japon. Son produit intérieur brut (PIB) ne représente plus que 8,5% du total mondial contre 14,3 % en 1990 ; son PIB par habitant a chuté de la 3e à la 23e place dans la même période ; en termes de compétitivité internationale, le Japon est passé de la 1re place en 1990 à la 27e aujourd’hui. Et les Cassandre de poursuivre : voilà le destin que connaîtrait la vieille Europe sans un vigoureux sursaut. Mais le sort du Japon est-il si funeste qu’il faille l’agiter comme un repoussoir ? Malgré l’absence quasi totale de matières premières, et avec seulement2 % de la population active du monde contre 27% pour la Chine, le Japon produit presqu’autant que son immense voisin, soit l’équivalent de 8,5 % du PIB mondial. Ce simple rappel donne la mesure d’un géant qui dispose toujours d’atouts considérables, même s’il doit faire face à de lourds défis structurels. Le Japon a prouvé dans le passé ses capacités de rebond lors de multiples crises : saura-t-il sortir enfin de la léthargie qui semble le condamner à l’effacement ?

De lourds défis structurels

En 2009, la crise mondiale a plongé le Japon dans la pire récession de son histoire qui s’est ajoutée, dans une sorte de « double peine », à sa propre crise des années 1990. La contagion de la crise par le canal du commerce extérieur a été rapide et brutale : avec une contraction du PIB de 1,2 % en 2008 et de 5,2 % en 2009, la récession japonaise a été plus sévère que pour les autres pays industrialisés. La croissance soutenue des années 2002-2007 reposait à 60 % sur les exportations nettes, alors que la consommation intérieure restait atone dans un contexte déflationniste. Les effets conjugués de la récession mondiale et de la forte appréciation du yen ont entraîné un effondrement des exportations vers les États-Unis et l’Europe, premier et troisième marchés d’exportation. L’investissement des entreprises s’est donc fortement contracté, tandis que la montée du chômage et le recul des salaires étouffaient la consommation des ménages. La crise a ainsi révélé les limites du cycle d’expansion 2002-2007 fondé sur la demande extérieure. Pour maintenir une croissance durable moins tributaire de la conjoncture internationale, le Japon devait rééquilibrer son modèle en faveur de la consommation intérieure. Cela a été le cas en 2010 avec une hausse soutenue de la dépense des ménages et une croissance supérieure à 3,9 % ; mais ce rebond s’explique essentiellement par des facteurs temporaires, liés aux plans de relance. Les prochaines années devraient connaître une progression de la production d’environ 1,5 % par an, nettement inférieure au niveau de croissance potentiel, qui devrait lui-même diminuer durant les décennies à venir.

En effet, au-delà de la violence du choc conjoncturel de la crise, l’économie japonaise présente des faiblesses structurelles qui pèsent sur ses performances. Les gains de productivité s’amenuisent dans une économie arrivée à ce niveau de maturité et la taille du marché intérieur reste modeste, comparée à celles de grands ensembles régionaux ou d’économies-continents comme l’Inde ou la Chine. Outre ces contraintes, trois facteurs se conjuguent pour assombrir l’horizon économique de l’archipel : l’absence chronique de leadership politique, l’endettement du secteur public et le défi démographique.

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[Articles récents] Le Japon, d’un modèle à l’autre (C. Pajon, 2011)

Politique étrangère publie dans son numéro du printemps 2011 (voir le sommaire) un dossier sur le Japon, son modèle politique, économique, social, et ses choix internationaux. Conçu avant l’actuel enchaînement de catastrophes, ce dossier fournit d’utiles clés pour penser les difficultés du futur rebond de la puissance japonaise.

 

Alors que les grands émergents monopolisent le devant des scènes internationale et médiatique et que la Chine s’installe en position de deuxième puissance économique mondiale, le Japon semble condamné à un inexorable déclin. Depuis 1990, l’éclatement de la bulle et la crise systémique ont mis à mal le modèle japonais d’après-guerre, et le pays navigue en eaux troubles. Son supposé triste état ne manque donc pas de susciter la compassion des analystes européens.

Plutôt qu’un déclin, le Japon semble connaître une longue période de transition et de réinvention de son modèle national. Mais les paradoxes bien réels du contexte japonais, et un pragmatisme dominant dans les choix politiques nippons, rendent les analyses ou prévisions délicates.

Si l’archipel est confronté à d’importantes difficultés (dette publique de plus de 200 % du produit intérieur brut, déflation persistante, aggravation des inégalités sociales, crise démographique, etc.), il n’en conserve pas moins d’importants atouts (forte capacité d’innovation industrielle, maîtrise des technologies vertes, soft power important, etc.) On doit pourtant se rendre à l’évidence, et constater non sans frustration que le manque chronique de leadership politique, et les interminables tergiversations qui précèdent la moindre prise de décision, continuent d’entraver la mise en place d’indispensables réformes socio-économiques.

Mettant fin à un demi-siècle de domination du Parti libéral-démocrate sur l’archipel, la victoire du Parti démocrate du Japon (PDJ) aux élections de septembre 2009 a été perçue comme un tournant historique. La mise en place d’une « troisième voie » plus sociale, ainsi que les nouvelles orientations de politique étrangère du PDJ semblaient en effet constituer des facteurs favorables à un renouveau national.

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