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Les articles rédigés par de grands noms au cours des 75 ans d’existence de PE

La paix de demain

Ce texte a été publié pour la première fois dans Politique étrangère, no 4/1939.
Richard Coudenhove-Kalergi (1894-1972), docteur en philosophie, publie, dès 1923, un ouvrage où il expose son projet d’unité européenne, Paneuropa, et fonde le mouvement paneuropéen : le premier congrès se réunit à Vienne en 1926 et rassemble près de 2000 participants. Il influence le projet d’Union européenne présenté par Aristide Briand devant la Société des Nations en 1929, puis crée en 1948, à Gstaad, l’Union parlementaire européenne. La même année, lors du Congrès de l’Europe à La Haye, est créé le Mouvement européen, dont Coudenhove-Kalergi sera président d’honneur.Lors de la publication de cet article, le Pacte d’acier vient d’être signé entre l’Allemagne et l’Italie (mai 1939).

Les facteurs de résistance à la guerre
Le fait dominant de notre temps, c’est que nous assistons à la seconde guerre européenne. La première phase de cette guerre s’est ouverte le jour où les troupes allemandes ont franchi les frontières autrichiennes pour annexer l’Autriche. Depuis, progressivement, l’Allemagne a occupé d’autres territoires, faisant pour chaque opération emploi de méthodes différentes, mais où se retrouvait toujours le même chantage à la guerre.
Je crois que cette première phase est terminée par le fait très simple que la France et la Grande-Bretagne ont dit « non » aux nouvelles prétentions de l’Allemagne ainsi formulées. Mais d’autres phases sont là qui se développent : la guerre des armements, la guerre économique, la guerre de propagande et, la dernière, la guerre des nerfs. Car le Troisième Reich garde l’espoir que la résistance morale des pays démocratiques se lassera un jour et qu’il sera alors possible de provoquer une grande conférence européenne où seront posées les bases de l’hégémonie allemande en Europe centrale d’abord, puis dans l’Europe entière.
Contre ces méthodes se dressent actuellement la France et l’Angleterre.Les discours prononcés par le président du Conseil français et le Premier ministre britannique[1] marquent une étape décisive dans le développement de cette guerre nouvelle. Car, soyons-en sûrs, les réserves matérielles et morales des puissances occidentales sont de beaucoup supérieures à celles de l’Axe et, si la France et l’Angleterre sont décidées à mener cette deuxième guerre mondiale, elles la gagneront.
Mais il ne suffit pas seulement de savoir qui sera le gagnant de cette guerre ; il faut aussi considérer si elle peut ou non dégénérer en une guerre sanglante. Ce sont là deux problèmes auxquels il faut faire face : le problème de la paix et le problème de la liberté. Il s’agit d’une part d’empêcher l’hégémonie allemande en Europe, et d’autre part de le faire, si possible, sans risquer le sang des peuples.
Cette guerre non sanglante peut se gagner à la seule condition que l’idéal de paix, qui a toujours guidé les deux grandes puissances occidentales, soit complété par une volonté plus forte encore de liberté. En d’autres termes, si la paix est un grand idéal pour lequel on lutte et on a lutté, elles doivent se rendre compte qu’il y en a un plus grand encore, celui de la liberté, et que mises en demeure de choisir entre le sacrifice de la paix et celui de la liberté, elles doivent savoir sacrifier la paix pour sauver la liberté. C’est dans toute l’histoire l’impératif qui s’est posé à toutes les nations. Seules ont survécu celles qui ont posé la liberté au-dessus de la paix. Or, les événements des derniers six mois ont en effet prouvé que l’idéalisme de la France et de l’Angleterre les portait bien à maintenir et à sauver la paix, mais pas au prix de la liberté. On peut donc résumer ainsi la situation : cette guerre européenne va-t-elle pouvoir se terminer sans que commence la grande lutte sanglante ? Je crois que seul le chancelier Adolf Hitler peut répondre à cette question, parce qu’il est sûr qu’aucun autre État ne la commencera et que la France et l’Angleterre feront l’impossible pour la repousser. Si l’Allemagne attaque, si elle est prête à risquer la guerre, alors nous aurons une guerre sanglante.

1. Édouard Daladier (1938-1940) et Arthur Neville Chamberlain (1937-1940) (NDLR).

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Le développement du tiers-monde

Ce texte a été publié pour la première fois dans Politique étrangère, n° 2/1977.
Bernard Chadenet a été ingénieur à la division énergie de la Banque mondiale, puis directeur des projets, avant de prendre la vice-présidence de l’institution auprès de Robert McNamara et de s’occuper du redressement de projets en difficulté. Il se retire de ses fonctions en 1980.
La Banque mondiale, initialement créée pour aider aux tâches de reconstruction rendues nécessaires par la Seconde Guerre mondiale, réoriente progressivement dans les années 1970 son action en direction des pays les plus pauvres, par le financement de projets de développement. Elle élargit ainsi considérablement son rôle au service de l’ordre économique mondial.

Notre globe condensé par l’intensification des communications, des transports et des échanges peut-il évoluer sans conflits alors que s’y affrontent un groupe de pays prospères et une majorité de pays pauvres dont la population explose ? C’est la question politique la plus grave à laquelle le monde devra répondre en cette fin de XXe siècle.
Après avoir souligné les contrastes économiques de trois classes de pays – industriels, moyennement pauvres et très pauvres – nous examinerons les aspirations du Tiers-Monde pour un Nouvel ordre économique international, suggérerons quelques voies de développement pour les pays pauvres et soulignerons les actions de solidarité que justice et intérêt dictent aux pays industriels.
À l’époque romaine, la population du globe atteignait 200 millions d’habitants. Il faut attendre le Moyen-Âge pour que cette population double, mais au XVIIIe siècle l’expansion démographique se précipite et 4 milliards d’habitants vivent aujourd’hui sur notre planète. Chaque année une population équivalente à une fois et demie celle de la France s’y ajoute : nous serons 6 à 7 milliards à la fin de ce siècle et plus de dix milliards cohabiteront sur cette terre avec nos petits-enfants.
Les niveaux de vie de nos contemporains divergent gravement et, pour en saisir les oppositions, il est tentant de diviser leurs pays en trois groupes : au sommet de l’échelle des revenus, une classe prospère d’une cinquantaine de « pays industrialisés[1] » représente le quart privilégié de la population du globe, un milliard d’habitants, aux revenus supérieurs à 2 000 dollars par an. Puis vient une très vaste classe intermédiaire qui rassemble une centaine de « pays moyennement pauvres[2] ». Elle groupe la moitié de la population du globe, deux milliards d’habitants, aux revenus moyens s’étendant de 2 000 dollars à 200 dollars par an. Au bas de l’échelle, se trouvent une trentaine de « pays très pauvres[3] », où le quart de la population du globe, un milliard d’habitants, aux revenus inférieurs à 200 dollars par an, s’efforce de survivre.
Ce classement est évidemment entaché de simplisme : la comparaison comptable exagère les différences de pouvoirs d’achat, chacune des trois catégories rapproche artificiellement des éventails trop larges de revenus, les pays riches ont des habitants pauvres et vice-versa, mais cette répartition montre clairement que la prospérité d’un milliard s’oppose à la pauvreté de trois milliards, dont près d’un milliard est dénué de tout. C’est ce déséquilibre économique entre pays riches et pays pauvres, aggravé par l’explosion démographique de ces derniers, qui anime le puissant mouvement tendu vers un Nouvel ordre économique international.

1. Les plus peuplés sont les États-Unis, l’Union soviétique, le Japon et les principaux pays d’Europe.
2. Les plus peuplés sont la Chine, le Brésil, le Nigeria, le Mexique, les Philippines et l’Égypte.
3. Les pays les plus peuplés sont l’Inde, l’Indonésie, le Bangladesh et le Pakistan.

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Les armes nouvelles

Ce texte a été publié pour la première fois dans Politique étrangère n° 1/1957.
Résistant et déporté, Charles Ailleret (1907-1968) prend en 1951 le commandement des armes spéciales de l’armée de Terre. En 1958, le général Ailleret est nommé commandant interarmées des armes spéciales. Dans ces deux fonctions, il est directement en charge du développement des armes nucléaires françaises jusqu’à leur première expérimentation en 1960. Il est le dernier commandant des forces françaises en Algérie, puis devient en 1962 chef d’État-major des armées.
À ce titre, il organisera le retrait français des instances militaires intégrées de l’OTAN, et se fera l’avocat, dans un texte célèbre, d’une défense nucléaire française « tous azimuts ». Le général Ailleret, qui meurt en 1968 dans un accident d’avion, est un des tout premiers responsables de la formalisation de la théorie nucléaire française.

Il est facile de sentir que les armes nouvelles ont profondément bouleversé la tactique, de là la stratégie et de là l’équilibre politique des nations et des groupes de nations. Mais il est moins facile de se rendre compte avec netteté de la mesure de ce bouleversement et du sens dans lequel il se produit.
Et, d’abord, quelles sont ces armes nouvelles ? L’opinion y classe généralement les armes atomiques, les armes biologiques, les armes chimiques et les engins autopropulsés. Mais, si la réunion de ces diverses armes dans une même catégorie se trouve justifiée par le fait qu’elles sont toutes récentes et d’apparence épouvantable, elles sont loin d’exercer sur les équilibres stratégiques des influences de même importance.
L’arme chimique a pu apparaître à certains comme périmée parce qu’elle n’a pas été utilisée au cours de la Seconde Guerre mondiale. Il n’en est rien. Il est exact qu’à cette époque, dans les conditions de déroulement des opérations et compte tenu des excellents matériels de protection dont disposaient les différentes armées, les toxiques n’avaient qu’un rendement inférieur aux explosifs classiques. Mais, depuis cette époque, les toxiques ont fait de gros progrès – il en existe qui sont des dizaines de fois plus toxiques que les gaz de 1940 – et les moyens de les mettre en place sous forme de concentrations très brutales se sont, eux aussi, très améliorés. Les toxiques pourraient donc, dans des circonstances favorables, prendre l’avantage sur les explosifs classiques. Cependant, ils n’auraient jamais – sauf pour certains problèmes très particuliers – qu’une efficacité du même ordre de grandeur que ces explosifs classiques. S’il est donc absolument indispensable de se préparer à se protéger contre les toxiques qu’un adversaire éventuel pourrait être tenté d’utiliser – et qu’il serait d’autant plus tenté d’utiliser  qu’on serait moins bien protégé – il faudrait attendre,d’un déclenchement de la guerre chimique entre pays qui n’auraient pas négligé leur protection antigaz, une modification des formes de la vie sur le champ de bataille, ainsi que des changements dans les procédés tactiques, mais non une modification radicale des équilibres stratégiques. L’arme chimique n’est qu’un facteur perturbateur stratégique relativement secondaire.

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Hubert Beuve-Méry sur l’accord de Munich

Hubert Beuve-Méry est surtout connu pour avoir fondé et dirigé Le Monde. Avant la Seconde Guerre mondiale, il vit à Prague, enseignant le droit à l’Institut français tout en écrivant pour le journal Le Temps. Il finit par rompre avec ce dernier du fait des positions pro munichoises qui y sont défendues. Dans cet article paru en 1939 et intitulé « De l’accord de Munich à la fin de l’État tchéco-slovaque », il revient sur les conséquences désastreuses de l’accord de Munich.

La Tchéco-Slovaquie indépendante n’est plus. Cet événement qui a violemment secoué la conscience du monde a peut-être moins ému ceux qui avaient commencé, dès l’accord de Munich, à porter le deuil de l’État tchéco-slovaque. Aujourd’hui, il n’est plus temps de se demander si cet accord était licite, étant donné les traités franco-tchécoslovaques, ni s’il était nécessaire, étant donné la situation politique et militaire de l’Europe à l’automne dernier. Mais il peut être utile de jeter un rapide coup d’œil sur les mois qui se sont écoulés entre les promesses solennelles prodiguées par le Führer en septembre et son entrée à Prague le 15 mars. On y verra, après le précédent autrichien, une nouvelle et douloureuse démonstration des méthodes hitlériennes.

L’interprétation et l’application par le Reich de l’accord de Munich

À l’Occident, les voix les plus officielles ont reconnu qu’un sacrifice terrible était imposé à la Tchéco-Slovaquie par l’accord de Munich. Mais tout aussitôt ces mêmes voix développaient une argumentation de nature à rassurer les esprits trop inquiets ou les consciences trop angoissées. La première justification invoquée n’était rien de moins que le maintien de la paix du monde. En second lieu, on assurait à plus de 3 millions d’Allemands ce droit de libre détermination des peuples dont se réclamait naguère le traité de Versailles. Enfin la Tchéco-Slovaquie mutilée était assurée des plus précieuses contre-parties.
Débarrassée de la plupart de ses Allemands, abondamment pourvue de livres sterling et de francs par les soins de Londres et de Paris, efficacement protégée par la garantie franco-britannique contre toute possibilité d’agression sur ses nouvelles frontières, elle allait cesser d’être en Europe une pomme de discorde et bientôt vaquer paisiblement à ses affaires comme la Suisse ou la Suède.

Malheureusement, et comme il était trop facile de le prévoir dès le premier moment, cette interprétation optimiste devait, en fait, le céder à l’interprétation de Berlin qui était toute différente. Car l’accord signé, la France avait démobilisé en hâte ; on avait renoncé aux plébiscites prévus; la Légion britannique, déjà prête à partir, avait été débarquée et la commission internationale composée des quatre ambassadeurs des puissances signataires restait finalement seule chargée de l’application du pacte. Or, au sein de cette commission siégeant à Berlin, l’Allemagne était en fait toute-puissante et, en cas de désaccord, les représentants de la France et de l’Angleterre se trouvaient bien en peine de faire prévaloir leur opinion. Les Tchèques ne purent en douter bien longtemps. Se sentant livrés à merci, ils préférèrent accepter la proposition allemande de négociations directes qui réduisait la commission internationale à une simple instance d’enregistrement. L’Allemagne put donc fixer librement et imposer les frontières de la cinquième zone d’occupation prévue à Munich. Sous prétexte de procéder à la délimitation précise de la frontière, elle imposa bientôt l’occupation d’une sixième zone qui englobait certaines populations purement tchèques. Les nationaux-socialistes allemands de Tchéco-Slovaquie auraient voulu plus encore. Finalement, ce furent les autorités du Reich elles-mêmes qui préférèrent restreindre leurs prétentions et rendre une cinquantaine de communes comptant une vingtaine de milliers d’âmes. L’Allemagne n’avait en effet aucun intérêt à pousser immédiatement sa victoire à l’extrême. Elle devait compter, au contraire, dans une situation particulièrement embrouillée, avec l’éventualité de réflexes désespérés. Aux confins occidentaux de la Bohême, les Chodes annexés n’avaient-ils pas parlé de se battre avec des faulx pour ne pas manquer à leur tradition légendaire de résistance au germanisme ? Et ne suffisait-il pas que le Reich ait tout préparé : contrôle de toutes les grandes voies de communications, organisation des Allemands demeurés en Tchéco-Slovaquie, utilisation de certains chefs slovaques, etc., pour parer efficacement à toute velléité d’indépendance du nouvel État?
Il n’est donc nullement excessif de dire que l’Allemagne a interprété et appliqué en toute liberté les clauses territoriales de l’accord de Munich. Dans le même esprit et avec la même liberté, elle rendait quelques semaines plus tard la sentence de Vienne, hors de toute intervention franco-britannique. Là encore, la solution adoptée entre les prétentions contradictoires de la Tchéco-Slovaquie et de la Hongrie, soutenue par la Pologne et l’Italie, entendait tenir compte avant tout des intérêts allemands. Ainsi, moins de cinq mois après l’accord de Munich, l’écart apparaissait considérable entre les espérances de l’Occident et la réalité. La paix européenne avait été prolongée, mais nullement consolidée. Trois millions d’Allemands avaient rejoint, contre le gré d’un assez grand nombre d’entre eux, l’Allemagne nationale-socialiste, au nom du droit de libre détermination des peuples. Mais du même coup, 800 000 Tchèques étaient annexés et un peuple de 7 millions d’âmes (plus de 9 millions avec les Slovaques) se trouvait immédiatement aux prises avec un gigantesque effort de germanisation. Quant à l’Etat tchéco-slovaque, loin de trouver la paix et les garanties de sécurité qui lui avaient été promises, il se trouvait menacé, subjugué, sans défense, sans garanties, sans recours possibles. À Paris et Londres, on reconnaissait implicitement cette situation en remettant à plus tard la garantie des frontières si solennellement promise. Quant à l’emprunt annoncé, dont il était à craindre que l’Allemagne ne s’assurât plus ou moins largement le bénéfice, on décidait, après de laborieuses discussions, de le réduire de près de 50 %.

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