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Politique étrangère 4/2012 en librairie !

Pour un petit avant-goût du prochain numéro de Politique étrangère (4/2012), voici quelques éléments à découvrir gratuitement en ligne.
Au menu :
deux dossiers consacrés aux relations franco-allemandes à l’occasion du 50e anniversaire du traité de l’Élysée, et au commerce international au XXIe siècle. Mais aussi des articles sur le Sahel, le Qatar, la Serbie, Israël et l’aide au développement.

Téléchargez le dossier de presse ici.

Contre l’Armée européenne, par Michel Debré (1953)

En 1953, Michel Debré est sénateur. Il s’oppose avec véhémence au projet de Communauté européenne de Défense (CED), attaquant nommément Jean Monnet et les « théologiens du transfert de souveraineté ». Un texte, publié dans Politique étrangère en 1953, à relire aujourd’hui, alors que l’Europe traverse une crise aiguë qui fera l’objet d’une analyse détaillée dans le n°4/2011 de Politique étrangère.

 

 

Quand Démosthène mettait en garde les Athéniens contre Philippe de Macédoine, Démosthène avait raison ! Athènes était une cité, et l’âge venait de plus grands empires. Mais il était deux politiques : l’une qui permettait de les constituer par une alliance et dans la liberté, l’autre qui acceptait de les voir naître de la tyrannie. Nul ne doute, nul n’a jamais douté, que la thèse ardemment défendue par Démosthène fût la seule qui pût garantir l’avenir d’Athènes, celui de la Grèce et de la liberté, la seule qui fût en même temps conforme à l’honneur.

La théorie du transfert de souveraineté

Au départ, nous trouvons la volonté américaine, exprimée dans l’été 1 950, de réarmer l’Allemagne. L’expression de cette volonté a surpris le gouvernement français. Cette surprise n’était pas légitime. Le problème du réarmement de l’Allemagne était posé depuis plusieurs mois. L’invasion de la Corée l’avait projeté, en quelques heures, au premier plan des préoccupations politiques de l’Occident. Il avait déjà été évoqué à la tribune du Parlement, et le blocus de Berlin était de ces signes prémonitoires que seuls les aveugles et les sourds volontaires peuvent ignorer. Cependant, nul, au gouvernement, ou plutôt au sein de nos divers gouvernements, n’avait osé en parler, si ce n’est pour annoncer solennellement qu’il ne pouvait être question de réarmer l’Allemagne…

A la proposition américaine, le gouvernement français a répondu par une proposition dont l’objet était d’« intégrer » des Allemands dans une armée qui n’aurait pas le caractère d’une armée nationale. Cette proposition allait loin dans sa rigueur logique. On n’envisageait même pas un régiment de nationalité allemande ; des soldats allemands étaient placés par petits groupes dans d’autres unités. Projet séduisant, en théorie, mais que sa rigueur rendait difficile à réaliser. Au surplus, à supposer qu’il fut un point de départ, une telle conception du rôle militaire des Allemands ne pouvait se prolonger longtemps.

La proposition française ne fut pas acceptée, même à titre de première étape. C’est alors qu’avec la complicité d’un gouvernement français désemparé et heureux de gagner quelques mois, le consentement d’un gouvernement américain assez incrédule au premier abord, puis convaincu par les affirmations de M. Jean Monnet, le problème du réarmement allemand fut saisi par les théoriciens — je dirai presque par les théologiens — du transfert de souveraineté.

A ce point de l’histoire il convient de revenir quelques mois en arrière.

Le gouvernement américain, avant d’envisager le réarmement de l’Allemagne, avait estimé nécessaire de libérer l’industrie allemande, notamment les mines et la sidérurgie de la Ruhr, des sujétions imposées par les vainqueurs. La situation du monde imposait une révision des idées qui avaient eu cours en 1944. Il était notamment nécessaire d’accomplir un effort pour lier à l’Occident cette grande part de l’Allemagne que les trois alliés avaient prise en charge au lendemain de la capitulation. Il fallait porter l’espoir des Allemands vers l’Occident. Il fallait mettre l’économie allemande au service de l’Occident ; sur cette voie, une première mesure apparut nécessaire : relever ou supprimer le « plafond » maximum de production imposé à l’industrie ; diminuer, et peut-être faire disparaître, les interdictions de fabrication. Voilà sans doute ce qu’il parut très difficile de faire accepter aux opinions européennes, et d’abord à l’opinion française. De cette difficulté jaillit l’idée de chercher quelque moyen exceptionnel de réussite. C’est ainsi que germa le projet d’une « communauté européenne » dirigée par des fonctionnaires impartiaux et recevant des divers Etats le droit de commander à toutes les mines et aux industries lourdes. L’idée, accueillie par M. Robert Schuman, se transforma en une très haute vision d’un « marché commun » et d’une réconciliation politique fondée sur la prospérité que ferait naître ce marché commun.

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L’Allemagne, la Libye et l’Union européenne

L’abstention allemande face à la résolution 1 973 du Conseil de sécurité des Nations unies découle des fondamentaux mêmes de la politique étrangère du pays. L’UE a néanmoins démontré dans la crise libyenne sa capacité à adopter des politiques communes en matière de sanctions et dans le domaine humanitaire, avec engagement allemand. Le développement de la Politique de sécurité et de défense de l’UE ne peut se faire qu’autour de missions militaires de faible ou de moyenne intensité, et avec accord entre Paris et Berlin. Article publié dans Politique étrangère n° 2/2011.

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L’abstention allemande lors du vote de la résolution 1 973 du Conseil de sécurité des Nations unies sur la Libye le 17 mars 2011 a suscité beaucoup d’irritation. La presse nationale et internationale a abondamment parlé de l’isolement de l’Allemagne et d’un manque de solidarité entre alliés. Les désaccords des Européens ont été analysés comme un échec de la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et rapprochés de la défaillance européenne face à la guerre en Bosnie2. On tentera ici d’ana- lyser plus avant ces deux reproches.

 

La « culture stratégique » : un cadre d’analyse nécessaire

Les décisions d’intervention ne dépendent pas seulement de l’analyse de la conjoncture internationale ou des capacités militaires ; elles sont surtout déterminées par des aspects culturels, normatifs et éthiques, qu’une analyse en termes de «culture stratégique» permet d’appréhender. Dans un premier temps, la littérature scientifique sur ce thème n’indiquait pas clairement si l’analyse devait se limiter aux élites – la culture stratégique étant un « ensemble de croyances, attitudes et comportements semi-permanents des élites » (traduit par la rédaction) – ou s’étendre à la population. L’influence croissante qu’ont les opinions publiques des démocraties sur la prise de décision en matière de sécurité est cependant apparue clairement avec les débats autour des guerres d’Irak et d’Afghanistan ; dès lors, l’opinion publique peut être considérée comme un « élément important du milieu conceptuel qui définit la culture stratégique » (traduit par la rédaction).

Différentes démarches s’attachent à appréhender concrètement les cultures stratégiques à ces deux niveaux : élites et populations. Parmi les catégories centrales d’analyse figurent : les objectifs justifiant l’emploi du militaire, le type des interventions envisagées, la capacité à accepter les pertes, pour soi ou pour l’adversaire, l’espace relatif de la coopération ou de l’action autonome, les formes choisies pour cette coopération, ainsi que la manière dont l’action est légitimée en interne et à l’extérieur.

Nous ne traiterons pas ici de l’ensemble de ces éléments. Nous chercherons plutôt à savoir dans quelle mesure la définition des buts et objectifs de l’usage du militaire est défaillante en Allemagne et à identifier, en la matière, les divergences possibles entre opinion publique et décideurs politiques.

 

Les fondamentaux de la politique étrangère et de sécurité allemande

L’un des problèmes fondamentaux de la politique de défense et de sécurité allemande tient au flou de ses priorités stratégiques. Le Livre blanc sur la politique de défense de 2006 présente de multiples scénarios d’intervention, mais sans hiérarchie claire des priorités. Seule la traditionnelle mission de défense de l’intégrité territoriale s’y trouve relativisée du fait de la conjoncture internationale. Il en va de même pour les priorités géographiques : puisqu’on souligne que les nouvelles menaces présentent fondamentalement un caractère mondial, les hypothèses d’intervention se maintiennent elles aussi à un niveau global. Certes, cette logique montre que l’Allemagne prend ses distances vis-à-vis d’une conception de sécurité focalisée sur l’Europe centrale ; mais la question de savoir quelles régions, quels intérêts sont stratégiquement déterminants reste sans réponse. La vague d’indignation interne que provoqua l’ex-président de la République fédérale Horst Köhler – et sa démission subséquente – en appelant l’Allemagne, grande nation industrielle et commerciale, à sécuriser ses intérêts y compris par des moyens militaires atteste des difficultés allemandes en la matière.

Dans la population, les scénarios d’intervention armée suscitent en revanche des prises de position nuancées. Un sondage de 2006 (l’année de la publication du Livre blanc) d’un institut de la Bundeswehr montre que la stabilisation des régions en crise est jugée comme de première importance pour les forces armées, mais les personnes interrogées ne mettent pas toutes l’accent sur les mêmes zones. 63 % d’entre elles estiment que la Bundeswehr pourrait intervenir dans cette logique en Europe, mais elles ne sont que 33 % à le penser si l’on parle du Proche-Orient et 31 % pour l’Afrique. Le sondage montre également des clivages nets sur les objectifs légitimant une intervention. En cas de menace imminente de génocide, une courte majorité de 56 % soutiendrait l’envoi des forces allemandes. Pour la tenue d’élections démocratiques, les avis positifs ne sont plus que de 38 %, et pour renverser un gouvernement violant les droits de l’Homme, seulement de 18 %. On peut interpréter de manière analogue le fait que ces dernières années (de 2006 à 2010), seule une minorité de sondés estimait que la guerre pouvait être, sous certaines conditions, nécessaire pour établir la justice, une nette majorité rejetant cette affirmation.

L’acceptation des pertes humaines, pour soi ou pour les autres, est étroitement liée à la question de l’emploi du militaire. Dans les deux cas, la tolérance de l’opinion est très faible en Allemagne : la classe politique fait donc de ce problème une sorte de tabou. La controverse sur le monument en l’honneur des soldats morts en opération est significative, tout comme les efforts récurrents des politiques allemands pour éviter de qualifier de « guerre » l’intervention en Afghanistan. Et les victimes étrangères ne sont guère mieux acceptées par l’opinion allemande – comme en témoigne la virulence des critiques suscitées par le bombardement par l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) (sur demande de la Bundeswehr) de deux camions-citernes dans la province afghane de Kunduz. L’indignation médiatique ne visait pas alors seulement les pertes civiles, mais aussi le projet d’« élimination ciblée » de chefs talibans.

L’idée que l’assassinat ciblé d’ennemis, dans une guerre ou dans des circonstances analogues, pourrait être légitime et même nécessaire a été complètement occultée dans le débat allemand. En Allemagne, gouvernement, partis, opinion publique ne se retrouvent donc pas dans un consensus stratégique simple et pérenne autour d’une même conception du recours au militaire. Ce consensus doit être recréé chaque fois que la Bundeswehr est susceptible d’être envoyée en opération extérieure – ce qui a pour effet d’instrumentaliser les thèmes de politique étrangère au service d’objectifs de politique intérieure. À Berlin, les partis se souviennent très bien de la campagne législative de 2002 : marquée par le débat sur l’Irak, elle avait démontré que le thème de la paix pouvait, en Allemagne, faire gagner une élection.

Dans ce contexte, définir les modalités de la participation allemande aux interventions militaires est difficile. La nécessité d’obtenir un mandat détaillé du Bundestag avant chaque déploiement de l’armée allemande – « armée parlementaire » – complique encore la situation : ce n’est plus seulement la question du « si » qui est posée publiquement, mais encore celle du « comment » – aviation de combat, artillerie lourde, etc. ? La prolongation du mandat de la Marine pour l’opération Active Endeavour de l’OTAN, en décembre 2010, a fait l’objet d’un débat difficile, alors même qu’aucune opération de combat n’était à prévoir. L’opposition avait alors résolument désapprouvé la demande du gouvernement, mettant en doute a nécessité même d’une intervention qui vise depuis huit ans à observer et à dissuader les terroristes dans l’espace méditerranéen.

L’examen des opérations extérieures menées par la Bundeswehr montre qu’ou bien elles se sont déroulées dans un cadre limité, avec une préférence pour des interventions de basse intensité, impliquant une faible probabilité d’actions de combat ; ou bien, pour des missions plus larges, plus robustes, elles ont exigé une discussion longue sur la scène politique intérieure, ou été rendues possibles parce que la population allemande se sentait directement et concrètement concernée. Cela a par exemple été le cas lorsque plusieurs centaines de milliers de réfugiés sont arrivés en Allemagne lors des guerres de Yougoslavie, suscitant une vague de sympathie, ou après les attentats du 11 septembre 2001 – la solidarité de la population allemande constituant le fondement même de la participation à l’opération Enduring Freedom. Une phase diplomatique prolongée peut aussi permettre de convaincre l’opinion, comme dans le cas de l’Afghanistan (avec la conférence de Bonn-Petersberg) et des négociations de Rambouillet avec la Serbie sur le Kosovo (leur échec avait constitué un argument plausible en faveur de l’intervention contre le régime Milosevic, qui avait pu être présenté à l’opinion et au Bundestag, même en l’absence d’accord de l’Organisation des Nations unies [ONU]).

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